Les écueils de l'introduction d'un poste de supervision pour la gestion des risques

Classé dans la catégorie : Général

Afin de mieux gérer le risque radiologique individuel et collectif sur le parc nucléaire français, EDF a lancé un projet de supervision centralisée. Un projet de grande ampleur qui, testé par des outils de simulation, a révélé des surprises et a mis en évidence l'intérêt de différentes approches des sciences humaines dans la compréhension de "l'homme au travail".

L'ambitieux projet d'EDF de créer une supervision à distance de la radioprotection sur les chantiers a connu une première phase d'étude de 2006 à 2010. Dès le début du projet une équipe pluridisciplinaire d'ergonomes, sociologues, anthropologues, psychologues a pu être associée. Isabelle Fucks et Laure Bourmaud, membres de cette équipe sont venues présenter combien les paramètres d'un tel projet sont complexes à l'occasion du dernier congrès de la Self*.

Les changements apportés par un poste de supervision

Outre l'aspect purement technologique de recueil des données concernant la radioprotection en provenance de nombreuses sources (dosimètre individuels, capteurs divers, mesures manuelles etc.), ce projet de supervision a révélé des problèmes au niveau humain et social qui étaient sous-estimés au début du projet. En effet, l'introduction d'un travail par supervision en lieu et place d'un travail de terrain apporte quatre changements majeurs :

  • la nécessité d'une acceptabilité sociale car il implique la généralisation de la vidéosurveillance. Que ce soit du côté des agents de la gestion des risques ou des travailleurs exposés au risque, l'usage des caméras ne doit pas être interprétées comme un renforcement du contrôle et de la répression au détriment de la prévention.
  • la transformation pratique du travail. Alors que ces personnes en charge de la radioprotection travaillent surtout sur le terrain, se déplaçant d'un chantier à l'autre, ils vont devoir pour certains d'entre eux devenir sédentaires et travailler à partir de données chiffrées sur un écran. Les agents qui resteront sur le terrain, et qui étaient autrefois extrêmement autonomes seront désormais aiguillés par ceux en charge de la supervision.
  • la transformation de la structure formelle du travail (règles, consignes, division du travail etc.). Cette transformation est un défi donné aux managers et aux organisateurs du travail. Ils doivent trouver le bon compromis entre la continuité nécessaire à la poursuite des missions et les changements nécessaires pour intégrer le poste de supervision.
  • l'évolution des relations sociales. La nouvelle division du travail implique des changements dans les représentations et les croyances du travail de soi-même, tout autant que de ses collègues. Les pratiques, les normes risquent d'être bousculées et peuvent tout aussi bien fonctionner entre elles qu'être sources de conflits et de tensions.

Quels progrès peut-on attendre de la supervision ?

Pour les partisans de l'introduction d'un poste de supervision, celui-ci doit permettre d'être plus pro-actif et mieux anticiper les risques. En outre, il doit contribuer à valoriser et reconnaître les compétences, à diversifier le travail et à renforcer les coopérations entre différents métiers. Concrètement, les principales données transmises sont celles des dosimètres individuels et des radiamètres avec lesquels les travailleurs mesurent le débit de dose ambiant. C'est l'analyse de ces données et notamment leur évolution dans le temps qui doit permettre de devenir plus pro-actif.

De l'écran à l'alarme, quels chemins pour l'autonomie ?

Afin de tester et analyser le futur travail des superviseurs, les utilisateurs prévus ont été mis en situation par des études de cas construites à partir de retour d'expérience. Chaque groupe se voyait ainsi proposer une situation dégradée ou inhabituelle afin de pouvoir analyser les processus de diagnostics et de décisions des agents. Parmi les cas proposés, l'un deux soumettait les superviseurs à une dosimétrie individuelle en évolution (sans que celle-ci ne dépasse encore les seuils recommandés). Alors que les spécialistes s'attendaient à ce que les superviseurs demandent aux agents sur place d'apprécier la situation pour éviter qu'elle ne se dégrade, ils n'ont pris aucune mesure particulière. La discussion avec les agents superviseurs a alors montré qu'ils n'ont pris aucune initiative car "il n'y avait ni alarme, ni consigne particulière de conduite pour ce genre de cas". Cette attitude ne s'expliquait ni par la conception technique ni par des règles formelles mais bien par des décisions prises dans un contexte culturel où l'autonomie était en réalité réduite dans les représentations qu'avaient les agents de leur travail.

Définir la culture pour en faire un levier d'action

Actuellement, il y a deux manières d'aborder "la culture professionnelle". Le premier modèle, dit "gestionnaire" la présente comme un paramètre façonnable, instituable qui peut être décidé et ancré via une politique de management des risques. Le second modèle est "anthropologique". La culture y est alors un ensemble d'idées, de significations et de visions du monde. Elle devient alors un cadre de réflexion et implique de mener une démarche vers la compréhension. Les acteurs n'étant pas conscients de ces différentes composantes. En effet, dans cette approche de la culture, seuls les composants explicites sont souvent analysés (règles, indicateurs, uniformes etc.) alors que les éléments tacites (valeurs, comportements) sont souvent ignorés, sans compter les éléments implicites qui restent le plus souvent cachés (préjugés, croyances). Sans une connaissance de cette culture, il semble improbable de prévoir correctement la réaction des travailleurs face à des situations non prévues formellement dans leur mission.

De la consigne à la logique d'anticipation

En réalité, les expériences et les discussions ont montré que la plupart des agents de prévention considèrent que leur travail consiste à faire appliquer un ensemble de règles, transmettre une demande hiérarchique ou détecter un écart avéré. En outre, ils perçoivent leurs interventions comme des interruptions de l'activité qui donc doivent prendre place dans une organisation formelle ou hiérarchique. Ce qui est contradiction avec ce que l'on attend d'un superviseur qui doit agir sur la base d'un doute, en amont pour éviter justement la concrétisation d'un écart. Les simulations ont ainsi permis d'identifier des freins culturels à la logique anticipatrice de la supervision. Un résultat inattendu car pourtant ce poste aurait dû "convenir" plus naturellement à des agents dont la prévention est censée être le coeur du métier.

Changer simultanément les façons de faire et de penser

Cet exemple a mis en exergue la complémentarité de différentes approches sociales du travail et souligne que c'est sur l'ensemble d'un système qu'il faut agir : de la définition formelle du travail, aux modes de coopération en passant par les croyances. Une approche culturelle, qui s'inscrit donc dans une histoire où le sens du travail s'est construit, et qui amène à penser qu'il faut non pas opposer les changements sur les façons de faire aux changements par les façons de penser car ceux-ci sont interdépendants. Dans le cas du poste de supervision pour le parc nucléaire géré par EDF, il reste donc à construire une culture de l'anticipation auprès des différents agents en charge de la radioprotection.

* Société d'ergonomie de langue française - Congrès annuel qui s'est tenu à Issy-les-Moulineaux du 14 au 16 septembre 2011.

Auteur : Par Sophie Hoguin, actuEL-HSE.

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