Une législation contre la souffrance au travail ?

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Au moment où France Télécom reconnaît 32 suicides en 24 mois parmi son personnel, la question de la souffrance en milieu professionnel se pose avec une acuité particulière.

Ainsi l'Assemblée Nationale a récemment constitué une "mission de réflexion sur la souffrance au travail". Parmi ses membres, le député de la 1ère circonscription de Côte d'Or, Bernard Depierre, souhaite mettre à profit sa propre expérience de Directeur des Ressources Humaines afin d'apporter "le meilleur de lui-même face à cette problématique de la souffrance au travail et des relations dans l'entreprise". Jeudi 3 décembre, le député rencontrait des chefs d'entreprises membres de la CGPME, afin de recueillir leurs témoignages pour "affiner les prochains textes"...

Une souffrance essentiellement morale

Revenant sur l'objectif de la mission parlementaire, Bernard Depierre précise que "la souffrance au travail est aujourd'hui davantage psychologique, morale, que physique : grâce aux progrès techniques, on a beaucoup diminué les risques d'accidents et la souffrance physique (facilitation de la manutention, limitation du poids, bruit...)". Marianne Raspiller, intervenante en prévention des risques professionnels, remarque pour sa part que "le stress et la souffrance morale au travail se banalisent dans tous les secteurs, à tous les niveaux". Elle définit le stress comme un état "où l'on n'a plus la capacité de faire face à une situation". Selon l'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), un quart des hommes et même un tiers des femmes expriment une souffrance au travail. Néanmoins, la plupart des chefs d'entreprises présents à la réunion estiment que "si cette souffrance est liée aux conditions et aux relations de travail (notamment dans le cas de France Télécom), la vie privée des victimes reste certainement la cause principale. Le cadre professionnel joue alors le rôle de facteur aggravant, pouvant conduire au suicide".

Patrons et salariés : mêmes tourments ?

Tous les membres de la CGPME présents s'accordent sur ce point : un patron peut aussi vivre un problème de stress, voire de souffrance, devant les nombreuses contraintes technocratiques, financières et humaines liées à la gestion de son entreprise. Marianne Raspiller nous précise certains de ces facteurs : "Les plus courants sont les exigences de la banque et des clients, la sur-responsabilité, la surcharge de travail, l'insuffisance de communication, le manque de soutien et l'isolement dans lequel se trouve parfois le chef d'entreprise". L'image des "mauvais patrons", liée à un phénomène médiatique, peut également jouer un rôle. Par ailleurs, certains dirigeants, victimes du système hiérarchique pyramidal, sont pris en étau entre les actionnaires et le personnel. Ainsi ce témoignage d'une chef d'entreprise : "Il y a quelques jours, partie à Paris négocier un marché, je me suis retrouvée en face de quatre hommes, eux-mêmes visiblement pressurisés par leur hiérarchie ou leurs actionnaires. Ils étaient venus en nombre pour tenter de me faire fléchir au niveau des chiffres. J'ai préféré ne pas signer dans ces conditions". Par ailleurs, Bernard Depierre souligne le lien direct entre la souffrance d'un dirigeant et celle de ses salariés : "Ce problème doit être considéré à tous les niveaux de l'entreprise, c'est pourquoi je rencontre également plusieurs syndicats de salariés" (CGT, CFTC et CFDT).

Évaluer les "entreprises à risque"

Même si la plupart des personnes intervenues estiment que "la responsabilité de l'employeur dépasse rarement 10 à 20%", la question de l'organisation des rapports à l'intérieur de l'entreprise se pose véritablement. Ainsi est cité l'exemple des contrôleurs SNCF : "Il y a 10 ans, les contrôleurs vivaient très mal l'organisation de leur entreprise alors qu'aujourd'hui, ils bénéficient d'un système d'échange de leurs contraintes horaires et ont une vision bien plus positive. Cette nette amélioration est uniquement liée aux choix de l'entreprise". Marianne Raspiller estime a fortiori qu'il vaut mieux "parler des conditions de travail plutôt que du stress, qui n'est qu'une conséquence". Selon elle, "mieux vaut prévenir la souffrance au travail en s'engageant dans une démarche préalable. Ainsi certains indicateurs permettent d'évaluer une entreprise : la motivation des salariés, la productivité, l'absentéisme, le nombre d'accidents de travail, les cas de dépression, les malfaçons et l'importance du turnover (renouvellement du personnel)". Elle ajoute qu' "aucune solution universelle n'existe car les facteurs d'origine du stress ne sont pas partout identiques. Ainsi les remèdes sont à rechercher au niveau de chaque entreprise".

"Pas question de faire des lois pour des lois"

Devant l'intérêt des parlementaires pour la question, plusieurs membres de la CGPME ont fait part à Bernard Depierre de leur crainte face à une nouvelle législation qui représenterait pour eux une contrainte supplémentaire : "On associe ma PME de 65 salariés à France Télécom ou à une multinationale. Modifier la législation reviendrait à me faire assumer leurs échecs, alors que j'essaie pour ma part de gérer très étroitement les rapports humains dans mon entreprise, où je connais chacun par son nom". Tenant à rappeler que "sans la loi, pas une personne handicapée physique ne travaillerait", Bernard Depierre exclut en revanche tout principe de double législation (l'une pour les PME, l'autre pour les grands groupes). S'il estime nécessaire d'ajuster certains éléments du Code du travail, pas question cependant de faire "des lois pour des lois" : "Je ne crois pas que de nouvelles lois puissent régler les problèmes de souffrance au travail. Mais je suis convaincu que l'on peut améliorer tout ce qui a trait à la prévention, au conseil, au suivi médical et à l'encadrement moral"...

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Auteur : par Cyril Gaucher, dijOnscOpe

Réactions...

Astouric Alain le :

Souffrance au travail : vu l’ampleur des dégâts rien en soi n’est suffisant !

Depuis deux décennies les techniques managériales de mutation organisationnelle permanente, de travail en mode projet, de réingénierie, d’empowerment* et de rémunération variable individuelle ont poussées les hommes, pardon ! les ressources humaines, vers la religion de la mobilité, la transformation permanente, la flexibilité, la polycompétence et l’individualisation des résultats au sein d’une entreprise prétendument individualisée pour le bien de tous.

Or, s’il est exact que ces évolutions peuvent offrir certaines opportunités de responsabilisation des salariés et de mise en place d’organisations moins hiérarchiques, elles font surtout peser de graves risques sur la santé mentale des travailleurs.

Aussi nous ne pouvons que regretter le silence, en particulier politique et dans une moindre mesure journalistique, qui a longtemps prévalu à propos de la souffrance au travail.

‒ Nous regrettons d’abord l’injonction paradoxale à l’autonomie qui a été faite aux salariés, sans jamais s’être assuré qu’ils y soient prêts, sans toujours leur avoir donné les moyens afférents et sans avoir non plus suffisamment intégré le frein que constitue en parallèle la procéduralisation excessive du travail. L’organisation est aujourd'hui exagérément normée et l’employé n’a plus le droit, faute de se le voir reprocher, de dévier des tâches à accomplir les unes derrière les autres ;

‒ Nous regrettons en second lieu la mise en concurrence des équipes. Une sorte de compétition qui, à l’instar des pratiques individualisantes, des modes de travail concurrentiels et des menaces de mise au placard ou de licenciement, continue à ravaler les gens au rang de simples ressources ;

‒ Nous regrettons en suite l’idée même de qualité totale, comme nous le faisions dès 2004 dans Le management durable

http://www.amazon.fr/management-dur...

[…] les appellations aux allures excessives comme, qualité totale, zéro défaut ou excellence qui ne font aucune place à la réserve, ignorent la nuance et oublient les concessions afférentes à l'imperfection humaine, sont à manier avec précaution, si ce n'est à regarder avec suspicion […] La perfection n'est pas encore de ce monde ! D’ailleurs, si comme nous l’entendons de plus en plus souvent le risque zéro n’existe pas, comment la qualité totale pourrait-elle exister ?

Alors que faire en ces temps du triomphe de l’individualisme ?

Etant donné qu’on ne peut pas revenir en arrière, il est urgent de reconstruire l’entreprise. Non pas par nostalgie du passé mais parce que l’on tient là l’unique façon de réussir l’avenir.

Maintenant que les partenaires sociaux sont parvenus à un accord sur le harcèlement visant à mieux détecter la violence dans les entreprises, le moment est venu pour les branches professionnelles de mettre en place les outils adaptés à la situation de leurs secteurs. C’est-à-dire, pour l’essentiel : systématiser vraiment l’accompagnement des changements ; instaurer un délai minimum de stabilité après chaque changement de poste et, comme le recommande le rapport Lachmann de février 2010, prévoir une étude d'impact social avant toute restructuration significative.

Parallèlement à ces trois mesures structurelles, il est plus que temps de donner enfin à la maîtrise et aux cadres non seulement une réelle et suffisante marge de manœuvre mais aussi une formation sérieuse, complète et concrète, d’abord aux problématiques de la santé et du bien-être au travail, ensuite, et surtout, aux dix techniques qui fondent (depuis presque toujours) le management efficace d’une équipe au travail :

• La communication interindividuelle ;
• La gestion du changement dans les Organisations ;
• La recherche de l’amélioration de la qualité ;
• La délégation de pouvoir ;
• La prise de décision ;
• La négociation interindividuelle ;
• La motivation de l’homme au travail ;
• La conduite de réunion ;
• La prise de parole en public ;
• L’entretien de face-à-face.

Nous sommes bien conscient que vu l’ampleur des dégâts rien en soi n’est suffisant et que la pédagogie à elle seule n’est pas la panacée. Mais si l’on n’utilise pas en premier lieu les moyens existants, ceux là même qui ont depuis longtemps fait leurs preuves, rien ne sera jamais résolu.

En outre, parce qu’en matière de relations sociales dans le travail, de conditions de travail et d’organisation du travail la démarche collective est toujours à privilégier, nous insistons sur la nécessité à former les décideurs et dirigeants ‒ surtout les plus jeunes ‒ au minimum aux problématiques de la santé et du bien-être au travail ainsi qu’à la gestion du changement dans les Organisations. De préférence à la totalité de ce même programme.

On a là un train de mesures qui en ne confondant pas prévention du stress et poudre aux yeux devrait nous permettre de regagner suffisamment de confiance et d’adhésion pour, enfin, travailler mieux.

D’autant que les moyens existent de détecter les causes du stress, et donc d’agir en amont, par exemple ThermoStress

http://www.grimmersoft.com/grimmers...

Source

http://astouric.icioula.org

* La réingénierie consiste en un écrasement de la pyramide hiérarchique par disparition de la plupart des agents de maitrise et cadres de proximité. L’empowerment, au prétexte de lui offrir l’autonomie, aboutit en réalité à placer le salarié dans une position intenable entre, d’une part la stricte obligation de résultats immédiats et d’autre part le strict respect de normes, règlements procédures et processus.

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