Retour sur un accident de chantier de travaux publique

Ecrasé par une raboteuse à Coquelles : le tribunal rendra sa décision en juillet

Nous sommes le 6 novembre 2009, rue des Châtaigniers, sur un chantier de réfection de la chaussée, entre Coulogne et Coquelles.

La société « JV Group » est chargée de ces travaux par le Conseil général, mais ne disposant pas du matériel nécessaire, elle a fait appel à deux entreprises afin de disposer d'une raboteuse et d'une balayeuse (respectivement louées à la société Eurovia et à la société TPW, avec leurs salariés).

Le drame a lieu vers 14 h 30. Un ouvrier de la société Eurovia, régleur de profession, vient de voir ses deux jambes happées par les chenilles de la raboteuse, qui était en manoeuvre de recul. Il ne perd pas immédiatement connaissance et voudrait « qu'on le sorte de là ». Très grièvement blessé, l'homme finit par perdre connaissance.

Malgré la réanimation cardiaque pratiquée par les pompiers, Pascal Retaux, marié et père de trois enfants, décédera des suites de ses blessures.

Pour comprendre le dossier, il est utile de savoir qu'une raboteuse, un engin par définition très bruyant, nécessite l'emploi de deux ouvriers, le chauffeur et le régleur. Le conducteur est guidé uniquement par les signes du régleur. En effet, la cabine de pilotage n'offre aucune visibilité. Même avec les rétroviseurs déployés, ce qui n'était pas le cas le jour de l'accident, l'angle mort reste fort important et la visibilité n'en est pas particulièrement améliorée. Le régleur agit donc par gestes.

Le chauffeur de la balayeuse qui suivait la raboteuse n'a pas vu Pascal chuter, mais quand il l'a vu passer sous l'engin, il a klaxonné en continu. La raboteuse était déjà stoppée, roulant à environ à 6 km/heure, le chauffeur ayant été alerté par ce qu'il croyait être une purge (partie de la chaussée abîmée plus profondément). Il se rend vite compte que c'est son collègue et ami qui se trouve sous la machine. Il est profondément choqué.

Sans doute Pascal était-il en train de ramasser des cônes de Lubeck qui délimitaient la chaussée quand il a été heurté, alors qu'encore quelques secondes plus tôt, il se trouvait sur le trottoir ? Tâche qui ne lui incombait d'ailleurs pas. C'était à la société Eurovia de mettre à disposition un de ses salariés pour l'affecter à cette mission.

C'est le président de la société « JV Group » qui se présente au tribunal correctionnel, hier : « Pascal travaillait comme régleur depuis 7 ans. C'était un ouvrier qui connaissait parfaitement les risques de la machine. Après ce drame, on a tiré les conséquences de cet accident et on a rajouté des rétroviseurs d'angle qui ne sont pas obligatoires. Le matériel plus récent est désormais équipé de caméra, mais les chauffeurs reculent toujours à vue (la raboteuse en cause datait de 2007, NDLR). On a voulu équiper les ouvriers de casque et de micros, mais le personnel n'était pas trop d'accord ». Quant au chauffeur, embauché en août 2008 : « Il avait été formé sur le tas pendant 2 mois par un ouvrier de notre entreprise », poursuit le responsable de la société. Aucune faute de conduite n'a de toute façon été déplorée.

L'homme conclut : « Après tout ça, j'ai dit aux ouvriers qu'il ne fallait pas se contenter d'un travail machinal, qu'il ne fallait pas se contenter d'habitudes. Un accident peut effectivement survenir en quelques secondes... » À cela, la procureure adjointe ajoute : « La société JV Group est soumise aux règles de la concurrence, comme toutes les moyennes sociétés. Il faut être rentable et efficace. Et c'est ainsi que l'on ne prend pas la peine de faire ce qu'il faut. Oui, on fait tout sur le tas, on transmet du pouvoir de manière omnipotente. C'est ce manquement à la formation à la sécurité qui me semble être la faille la plus importante... ».

Elle requiert 20 000 euros d'amende dont 15 000 euros avec sursis.
Décision le 27 juillet 2010.

Auteur : B.G., Nord Littoral

 

Présent en temps réel sur les lieux de l'accident, un agent de l'Inspection du Travail s'est tout spécialement déplacé au tribunal hier pour expliquer les principaux griefs faits à la société : « Il faut faire la différence entre les règles de conception et d'utilisation des machines. Ici, nous sommes sur le second volet. Il faut savoir qu'un marquage CE (accordé par le constructeur même de la machine) ne signifie pas que la machine est conforme à la réglementation en vigueur. Si des non-conformités sont constatées, le client peut effectivement résilier la vente de ladite machine. Le risque était connu et analysé par l'employeur. Un plan d'action avait été décidé, mais 4 ans après, l'étude de faisabilité n'était toujours pas entamée. Aucun correctif n'avait été apporté ».

Au-delà, l'agent remarque : « M. Retaux n'avait pas à évoluer sur cette zone dangereuse de travail. Ce n'était effectivement pas à lui d'enlever ces plots... ». Mais personne d'autre ne se trouvait sur les lieux.

Il fallait également que « les ouvriers disposent d'une notice écrite, d'un mode opératoire précis expliquant les dangers et les précautions à prendre avec cette machine. Le chauffeur de la raboteuse était-il apte à la conduite de cet engin dangereux ? Il appartenait à l'entreprise de lui faire passer le Caces au sein d'un organisme agréé, ou encore de le lui faire passer au sein de l'entreprise, par des testeurs ».

Ici, le chauffeur a passé le Caces en 2010 (ce dernier étant préconisé par la CRAM et non imposé), diplôme qu'il a obtenu sans difficulté, certes... mais après l'accident, lui qui disposait d'une autorisation de conduite depuis le 28 août 2008, soit trois jours après son entrée dans la société.

Au sens plus large, aucun des ouvriers n'avait été formé à la sécurité dans l'entreprise. Or, l'Inspection du travail remarque : « Quel que soit l'emploi occupé, l'employeur doit délivrer une formation à la sécurité qui consiste en la visite de l'entreprise, à l'appréhension des consignes relatives aux travaux effectués... et cela à chaque changement d'emploi ».

Subsidiairement, la société ne disposait pas, bien que comptant plus de 50 salariés, ni de délégué du personnel, ni d'un comité d'entreprise, pas davantage d'un CHSCT, aucun des ouvriers ne souhaitant se présenter. À cette heure, la situation a été régularisée. Des élections ont été organisées... mais il n'y a toujours pas de comité d'entreprise !

Mais Pascal Retaux a laissé une veuve et trois orphelins...

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