Le marché du carbone pâtit aussi de la crise

Le passage à vide que traverse le marché du carbone profite aux industriels, qui vendent leurs quotas, mais pas aux investissements destinés à réduire les futures émissions de gaz à effet de serre. Pour la deuxième fois depuis son lancement en 2005, le marché du carbone a atteint ses limites.

Contraction de l’activité industrielle, baisse des émissions de gaz à effet de serre et chute du cours de la tonne de CO2. Durant les mois de janvier et février, la tonne de CO2 s’est échangée entre 8 et 10 euros. Loin de la vingtaine d’euros atteints l’été dernier, avant que la crise ne se fasse véritablement sentir.

Une telle baisse des cours de la tonne de CO2, certes dans des proportions moindres, n’avait pas eu lieu depuis 2006, pendant la première période-test du marché européen du carbone (ETS, 2005-2007). Les industriels soumis à l’ETS s’étaient vu sur-allouer des quotas.

La baisse des cours permet de rappeler que le marché du carbone est très particulier. «Il est unique car il se caractérise par l’inélasticité totale de l’offre de quotas, allouée par les gouvernements. Même si la demande baisse, l’offre demeure constante. Résultat: le cours de la tonne de CO2 chute», analyse Sylvain Goupille, directeur adjoint de l’activité Finance carbone chez BNP Paribas.

«Il y a d’énormes mouvements sur les marchés spot [où les échanges se font au jour le jour, ndlr]. Certaines entreprises vendent leurs surplus pour obtenir du cash. Elles ont été beaucoup plus nombreuses que celles qui achètent», constate Anaïs Delbosc, de la Mission Climat de la Caisse des dépôts.

Depuis le début de l’année 2009, les volumes échangés sont déjà le double de la moyenne de l’année 2008, relate l’agence de presse Reuters. Près de 700 millions de tonnes de CO2 ont été échangées sur 6 bourses européennes à un prix moyen de 9,68 euros la tonne, pour un montant de plus de 6,71 milliards €. Les volumes de février étaient 61% supérieurs aux 429,4 millions de tonnes échangées en janvier, et 147% au-dessus de la moyenne mensuelle en 2008 (280,6 millions).

La baisse des cours du CO2 rend bien moins urgents les investissements nécessaires à la réduction des émissions de GES. Et la crise pèse tant que les entreprises préfèrent valoriser immédiatement leurs actifs plutôt que de conserver leurs quotas inutilisés pour la troisième période (2013-2020), alors que la contrainte carbone devrait être beaucoup plus forte.

Faut-il une banque centrale du carbone, pour rectifier l’offre, comme le proposent certains économistes? donner un signal prix plus stable aux entreprises en introduisant une taxe carbone minimale? La crise que traverse le marché du carbone conforte la thèse d’Aurélien Berner, auteur de l’essai «Le climat otage de la finance» (1). «Le marché du carbone est un outil qui ne fonctionne pas de façon dérégulée, puisqu’on songe finalement à une intervention de l’Etat. On aurait pu avoir un système beaucoup plus efficace, grâce auquel on aurait retrouvé l’intérêt supposé du marché du carbone, avec une réglementation fixant un plafond d’émissions, et une taxe carbone proportionnelle aux émissions des industriels.»

(1) Aurélien Bernier, Le climat otage de la finance. Ou comment le marché boursicote avec les «droits à polluer», Mille et une nuits, août 2008

Crises et émissions

Quel est l’impact de la crise sur les émissions de gaz à effet de serre? Dans sa lettre trimestrielle ClimatSphère publiée fin 2008, la Mission Climat de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) met en évidence le lien entre contraction de l’économie mondiale et baisse des émissions de GES pendant les trois dernières récessions. La tendance est à peu près la même pour les économies américaine et européenne.

Ainsi, entre 1929 et 1932, le PIB mondial chutait de 10%, les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 26%. Le premier choc pétrolier (1973-1975) voit une baisse des émissions de 1% pour une hausse de 4% du PIB mondial. Celui-ci connaît une hausse de 5% durant le deuxième choc (1979-1989), et une baisse des émissions de 3%.

Auteur : par Victor Roux-Goeken, JDLE

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