Loi Travail : 100 ans en arrière, vraiment ?

Classé dans la catégorie : Général

Depuis le début des débats sur la Loi travail, les réseaux sociaux bruissent de rumeurs étranges. La loi serait une régression « historique », qui nous ferait reculer « 100 ans » en arrière.

Fini, les droits des travailleurs, terrassée, la protection des salariés victimes de maladies et d’accidents, anéanti, le droit des syndicats, la toute-puissance des patrons paternalistes du 19ème est de retour.

Comme on pouvait s’en douter, l’analyse des versions successives du projet de loi invalide cette présentation d’une loi essentiellement technique, qui ne va pas bouleverser la vie des entreprises.

1. Tout d’abord, même avec le fameux article 2, il n’y a pas à proprement parler d’ »inversion » de la hiérarchie des normes.

En droit du travail, lorsque deux normes entrent en contradiction, est en principe retenue la norme la plus favorable au salarié, quelle que soit sa source. La Loi Travail ne met pas fin au principe de faveur en tant que tel :

  • De manière très synthétique, il existe 5 grandes sources en droit du travail : 1. La Loi, 2. L’accord collectif ; 3. Le Contrat de travail ; 4. L’usage en entreprise et 5. L’engagement unilatéral de l’employeur.
  • La Loi travail ne revient pas sur le fait que, entre ces différentes normes, la norme la plus favorable doit pouvoir primer.
  • La Loi travail introduit toutefois une nuance à l’intérieur de la 2nde source de droit, celle des accords collectifs : en effet, selon la Loi travail, en matière de durée du travail, un accord d’entreprise qui serait moins favorable que la convention collective nationale de branche s’appliquerait quand même. Toutefois, la Loi travail n’indique nullement que l’accord d’entreprise puisse déroger défavorablement au contrat de travail ou aux normes minimales fixées par la Loi ; elle ne prévoit nullement que, en cas d’usage plus favorable au sein de l’entreprise, ledit usage ne prime pas.
  • La vraie question est donc celle, non pas d’une « inversion » de la hiérarchie des normes en droit du travail, mais d’une modification de l’articulation entre accord de branche, d’une part, et accord d’entreprise, d’autre part.
  • Cette modification d’articulation va-t-elle produire les effets dévastateurs qui sont envisagés ? A notre sens, non. Pour une raison simple : la Loi travail rend particulièrement plus restrictives les conditions de validité de l’accord d’entreprise. Jusqu’à présent, pour être valable, l’accord d’entreprise devait être signé par des organisations syndicales représentant au moins 30% des suffrages exprimées au 1er tour des élections du comité d’entreprise. Désormais, il faut la signature de syndicats représentant au moins 50% desdits suffrages ou, à défaut, des syndicats représentant au moins 30% des suffrages, et la ratification d’au moins 50% des salariés. Il existe ainsi des barrières sérieuses à l’adoption d’accords défavorables aux salariés. On a brandi l’argument du « chantage » de la direction des entreprises qui menaceraient de recourir à des licenciements collectifs pour arracher des accords iniques aux salariés. Ce type d’argument ne correspond à aucune logique concrète de terrain. Lorsque la vie de l’entreprise est en jeu, les salariés savent le reconnaître et ceci n’a rien à voir avec un quelconque chantage.

2. Ensuite, il est affirmé que la santé des salariés serait bradée, par deux canaux : (i) la réglementation encadrant la durée du travail serait plus laxiste et donc moins protectrice et (ii) le contrôle du reclassement ou du licenciement des salariés inaptes serait moins sérieux.

Sur la durée du travail, la Loi travail introduit certes quelques nouveautés mais le texte initial a été très fortement affadi au fil des discussions. Deux exemples :

  • La législation sur l’astreinte change à la marge – sur le délai de prévenance – mais elle introduit l’obligation de compenser l’astreinte au besoin par un temps de repos équivalent à l’entière durée de l’astreinte ;
  • La conclusion des conventions de forfait annuel en jours n’est possible que si un accord collectif le permet. Tout au plus la Loi travail permet-elle de pallier certaines lacunes de l’accord collectif (comme, par exemple, les modalités de suivi de la charge de travail des salariés).

S’agissant de l’inaptitude, il n’est pas prévu de licencier des salariés inaptes à tour de bras, mais de sortir les entreprises de situations inextricables induites par la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière : cette dernière considère en effet, actuellement, que, même en cas d’inaptitude du salarié à tout poste dans l’entreprise, cette dernière ne peut le licencier que s’il est « impossible » de le reclasser… Poussant la plupart des entreprises à jouer la comédie d’une pseudo recherche de reclassement, purement formelle et cosmétique, dans le seul but de ne pas tomber sous les fourches caudines de cette jurisprudence absurde. La loi pourrait éventuellement permettre de contrecarrer cette aberration en permettant à l’entreprise de licencier le salarié dont le médecin du travail aurait constaté que tout maintien dans son emploi serait « gravement préjudiciable à sa santé » ou que son état de santé ferait « obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

3. Dernier exemple, celui du motif de licenciement économique. Alors que le texte est présenté par ses opposants comme donnant un blanc seing pour supprimer des emplois, en réalité, il créé des effets de seuil et se révèle une nouvelle source de complexité. Une entreprise de petite taille devrait par exemple pouvoir licencier pour motif économique en cas de baisse des commandes pendant un trimestre (pour les entreprises de 11 salariés), deux trimestres (pour les entreprises de 50 salariés), trois trimestres (entreprises de 50 à 299 salariés) et quatre trimestres (entreprises de 300 salariés ou plus).

Les derniers produits des risques professionnels