Petits et gros maux de la techno-dépendance

L'essor du travail à distance a fait du portable le principal outil du "travailleur nomade", comme l'appelle le chercheur Jan Popma dans une étude sur le "technostress".

Troubles du sommeil, expositions aux ondes et apparition d'un "pouce Blackberry" : zoom sur les aléas physiques qu'entraînent l'omniprésence du mobile chez ceux qui ne travaillent pas toujours au bureau.

Le chercheur Jan Popma a un point commun avec ses sujets d'étude. "Beaucoup de gens regardent leurs e-mails quand ils sont chez eux", explique-t-il, avant d'ajouter : "Je m'inclus dedans : hier encore, je me suis disputé avec ma femme à ce sujet !" En 2012, il publie pour l'Etui (Institut syndical européen) une étude intitulée "Technostress et autres revers du travail nomade". La techno-dépendance, dont il souffre donc un peu lui-même à l'en croire, est l'un de ces revers. Et il concerne nombre de travailleurs européens, devenus accros du portable... parce qu'il est leur outil de travail numéro 1. La faute à l'essor des nouvelles technologies et à des formes de travail différentes, hors du bureau. En Europe, au moins un quart des travailleurs exerceraient à distance, en tête à tête avec leur téléphone.

Le téléphone comme livre de chevet

Et ça commence dès le petit matin. À en croire Jan Popma, "plus d'un travailleur sur trois consulte ses e-mails dès le réveil, avant même de s'habiller ou de prendre le petit-déjeuner". Ce qui sous-entend souvent que le téléphone reste à ses côtés la nuit (43% des cas). Alors que le travailleur est censé dormir et recharger les batteries (les siennes tout du moins), il peut être réveillé par des alertes messages non désactivées (5%) ou veiller tard pour travailler encore un peu, sur son oreiller. Résultat : la qualité de son sommeil est détériorée, il a des difficultés à s'endormir et ne récupère pas.

Les symptômes de la techno-dépendance

D'après l'étude de Jan Popma, les symptômes de la techno-dépendance se manifestent comme suit :

  • utilisation compulsive ;
  • difficulté à mettre un terme à l'activité ;
  • état de manque après arrêt de l'utilisation chronique ;
  • intolérance croissante.

Parmi les travailleurs pris pour objet par l'étude, 10% seraient concernés, et un sur huit consulterait son téléphone portable plus de dix fois par heures pendant son temps libre. Au-delà des conséquences physiques que les nouvelles technologies peuvent ainsi avoir sur la santé, Jan Popma insiste sur le fait qu'elles peuvent facilement transformer "les possibilités en pression" (travail en dehors des heures théoriques de bureau, partout) et faire augmenter la "charge psychosociale liée au travail".

Des ondes supposées cancérigènes

Surtout, lorsqu'il passe ses nuits et ses jours aux côtés de son téléphone, le travailleur s'expose aux champs éléctromagnétiques. Dans son étude, Jan Popma avance que "de nombreux signes suggèr[ent] un lien entre utilisation intensive de téléphones portables et augmentation du nombre de tumeurs". Ce n'est pas pour rien que le Circ (centre international de recherche sur le cancer) a classé les champs éléctromagnétiques produits par les portables dans la catégorie des "cancérigènes possibles pour l'homme", rappelle Jan Popma. Il y a presque un an, l'Anses, dans son avis sur les effets des radiofréquences sur la santé, relevait des effets sanitaires potientiels – effets biologiques sur les performances cognitives, sur le sommeil, sur la fertilité masculine – tout en reconnaissant son impuissance à "établir un lien de causalité" (voir notre article). L'agence recommandait cependant de maîtriser le risque en maîtrisant l'exposition. Tout comme Jan Popma, qui pense que des mesures de précaution sont nécessaires : la fourniture d'oreillettes par exemple, pour éviter "de coller le téléphone [...] directement contre sa tête", "l'utilisation d'un téléphone fixe aussi souvent que possible" ou encore "l'achat d'un portable à basses radiations".

Le "pouce Blackberry" et autres tendinites

Tactile ou pas – "avec le tactile, on utilise certes moins de force, mais on écrit plus vite", nuance le chercheur – le clavier du téléphone et ses petites touches en conduiraient aussi plus d'un à "une sollicitation excessive des doigts". On rencontre à cet endroit de l'étude de Jan Popma le terme TMS (troubles musculo-squelettiques), et de façon plus surprenante, celui de "pouce Blackberry". Il s'agit là d'une "lésion attribuable au travail répétitif, provoquant une douleur lancinante au niveau du pouce ou, parfois, d'autres doigts, ainsi qu'au niveau du poignet." L'étude précise encore que "cette douleur résulte de la sollicitation excessive du pouce lors de l'utilisation d'un smartphone". Jan Popma cite encore "l'arthrite au niveau des doigts et des poignets", "la ténosynovite" (inflammation des gaines tendineuses), "la tendinite" et la "fibromyalgie" (rhumatisme des tissus mous) comme autant de conséquences possibles de l'usage excessif du clavier de smartphone.

"Les gens pensent qu'ils peuvent gérer"

Des cas extrêmes d'utilisateurs qui ont perdu le contrôle, pensez-vous ? C'est bien là le problème, selon Jan Popma. Qu'il s'agisse du stress supplémentaire (voir encadré), ou des maux physiques engendrés par la techno-dépendance, "les gens pensent qu'ils peuvent gérer, d'autant plus que les problèmes apparaissent progressivement”. Pour lui, ce qu'il faut considérer, et sérieusement, ce sont les effets à long terme que provoque cette techno-dépendance sur la santé des travailleurs. Une façon de dire que le "pouce Blackberry" n'est qu'un début.

 

 

Auteur : Par Claire Branchereau, actuEL-HSE.

 

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