REACH : quel bilan après cinq ans ?

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La mise en œuvre de REACH, le règlement européen sur les produits chimiques, a débuté en juin 2007. Cinq ans plus tard, Tony Musu, l'expert en risques chimiques de l'ETUI, dresse un bilan de cette ambitieuse réforme.

L'ex-membre du conseil d'administration de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) s'exprime sans détour sur l'indépendance de l'ECHA et le lobbying exercé par l'industrie. Il aborde également d'importants enjeux pour la santé des travailleurs tels que l'exposition aux nanomatériaux et aux cancérogènes.

REACH est entré en vigueur il y a un peu plus de cinq ans. Le système fonctionne-t-il ?

Le bilan est positif en ce qui concerne l'introduction des dossiers d'enregistrement par les entreprises auprès de l'ECHA. L'ECHA a reçu ces milliers de dossiers et a pu les introduire dans le système informatique chargé de les traiter. On peut dire que techniquement cela a bien fonctionné et les délais ont été respectés. Par contre, on peut s'interroger sur la qualité des dossiers remis. Après un examen approfondi des données communiquées dans les dossiers par les entreprises, il s'avère que celles-ci ne correspondent pas toujours aux exigences du règlement. Or, la qualité des données est un aspect fondamental du succès de REACH en termes de prévention des risques chimiques au travail.

Un rapport d'ONG paru en octobre accusait l'ECHA de manquer d'impartialité vis-à-vis de l'industrie. Quelle est ta perception des choses ?

Je partage leur point de vue. Je prendrai un seul exemple. J'ai été impliqué dans les travaux d'un comité de l'ECHA chargé de se prononcer sur une proposition du gouvernement danois qui visait à restreindre l'utilisation combinée de quatre phtalates. Alors que le dossier semblait bien progresser, tout à coup les comités ont fait marche arrière. Moi qui ai assisté aux différentes réunions, je trouve ça bizarre. Je peux comprendre certains arguments, mais de là à ce qu'on abandonne le dossier alors qu'il semblait faire l'unanimité, c'est qu'il y a certainement eu des influences extérieures. Les sommes en jeu atteignent des montants colossaux et cette agence, ainsi que ses instances, sont sous une pression énorme de la part des industriels. De facto, il y a une influence très certaine.

Concernant les nanomatériaux, les ONG considèrent que REACH ne permet pas de protéger les consommateurs face aux risques liés à la mise sur le marché de ces matériaux de taille microscopique. Certains plaident pour une révision de REACH, d'autres pour l'adoption d'une législation spécifique. Quelle est la meilleure option ?

Contrairement à ce que la Commission affirme, je persiste en effet à dire que REACH n'est pas suffisant pour couvrir les risques potentiels liés à l'exposition à des nanomatériaux qui peuvent être sur le marché. Un des problèmes est que le volume d'enregistrement dans REACH, qui est de 1 tonne par an, n'est pas adéquat pour de nombreux nanomatériaux qui sont sur le marché. Pour remédier à ces manquements, la voie que la Confédération européenne des syndicats préconise est l'adaptation de REACH. REACH est une législation qui est relativement transversale et qui peut couvrir pas mal d'usages des nanomatériaux. Une législation consacrée intégralement aux nanomatériaux pourrait également faire l'affaire, mais je crains que cette voie risque de prendre beaucoup plus de temps que de modifier REACH. Or, je crois qu'il y a urgence car il y a énormément de substances sous la forme nanométrique qui sont déjà sur le marché et que le principe "pas de données, pas de marché" n'est certainement pas respecté pour ces substances-là.

Une des avancées majeures de REACH pour les travailleurs est d'encourager la substitution sur les lieux de travail des substances dangereuses, notamment les cancérogènes, par des alternatives moins nocives. Quelles sont les avancées depuis 2007 ?

Les commissaires européens en charge de REACH, Tajani pour les entreprises et Potocnik pour l'environnement, ont fixé ensemble l'objectif politique d'avoir, pour la fin de l'année 2012, 136 substances sur la liste candidate, qui est l'antichambre de la liste des substances soumises à autorisation. Même si l'on reconnaît que cet objectif est une véritable avancée, notre appréciation de toute la procédure d'autorisation est qu'elle est beaucoup trop lente. Beaucoup plus de substances devraient rejoindre la liste candidate. L'écart entre le texte et les pratiques est trop grand : REACH stipule qu'il suffit qu'une substance soit reconnue officiellement comme cancérogène pour avoir sa place dans la liste candidate. Lire la suite de l'article...

Auteur : ETUI.

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