"Nous sommes passés à une obligation de garantie en matière de santé au travail"

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Aujourd'hui la chambre sociale de la Cour de cassation prend en compte la santé au travail dans la plupart de ces décisions. Thérèse Aubert-Monpeyssen, professeur de droit à l'université Toulouse I, souligne la grande créativité de cette juridiction et les obligations fortes qui pèsent désormais sur les entreprises en matière de santé-sécurité.

A l'occasion de la dernière journée de la société française de médecine du travail (SFMT), Thérèse Aubert-Monpeyssen, professeur de droit à l'université Toulouse I et chercheuse à l'Institut de recherches en droit européen international et comparé (IRDEIC), est venue présenter les évolutions de la Cour de cassation dans la prise en compte de la santé au travail.

Une évolution lente mais aujourd'hui actée

Même si plus de la moitié du code du travail concerne la santé des travailleurs, les implications juridiques auprès des tribunaux et notamment auprès de la Cour de cassation ne sont pas apparues rapidement. Deux facteurs ont finalement contribué à donner l'impulsion à chambre sociale de la Cour de cassation pour s'attaquer à ces sujets là avec une certaine originalité : d'une part la création d'une règlementation européenne avec plusieurs directives dont la directive cadre de 1989 et d'autre part de grandes catastrophes comme l'amiante ou AZF. Si bien qu'aujourd'hui la santé au travail est devenue centrale dans les décisions de la chambre sociale.

Une méthode de décision originale

Thérèse Aubert-Monpeyssen explique ainsi que la chambre sociale procède de manière originale en cela qu'elle cherche la norme et le droit, non pas seulement autour du code du travail, mais à travers de nombreux autres textes, bien souvent supra-nationaux, comme des directives, des traités signés par exemple au sein de l'organisation internationale du travail. La Chambre sociale n'hésite d'ailleurs pas à écarter une loi interne en fonction de textes supra-nationaux. Cette juridiction devient alors "créatrice de loi" et le législateur n'est plus toujours celui qui fait la loi applicable.

Quelle idéologie derrière ces décisions ?

Résolument, la Cour de cassation développe une vision axée sur les droits fondamentaux et cherche constamment à remettre l'homme au centre de l'entreprise. "Il faut bien réaliser que c'est un "droit de crise" que l'on voit apparaître là", explique la chercheuse. Il construit une transition des mentalités. Et c'est particulièrement visible en matière de risques psycho-sociaux (RPS).

Pour les RPS, tout est bon à prendre

En ce qui concerne les RPS, la Cour se fonde sur de très nombreux textes. Certains évidents et d'autres beaucoup moins. Les textes sur la prévention en général, bien sûr, des textes plus particuliers liés aux handicaps, au harcèlement, à l'obligation de reclassement. Avec depuis quelques années la notion centrale d'obligation de sécurité de résultats.

De l'obligation de sécurité de résultats

L'obligation de résultats est issue du domaine des transports. La Cour de cassation l'a d'abord utilisée dans les procès de l'amiante puis l'a élargie à d'autres secteurs du travail. En la combinant avec la "volonté d'effectivité", elle s'appuie sur une jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme qui stipule que les droits sociaux doivent être concrets et effectifs chaque fois que possible. L'obligation de résultats de sécurité s'applique désormais tant à la santé physique qu'à la santé mentale.

Tout peut-il tomber sous le coup de l'obligation de sécurité de résultats ?

La Cour de cassation n'a pas hésité par exemple à étendre cette notion au harcèlement moral et avec son interprétation extensive elle peut sanctionner "une organisation anxiogène", "la survenue de dépression nerveuse " tout autant que "la tentative de suicide"... Malgré tout, la Cour sait préserver un certain équilibre et les faits sont analysés. "L'extension très large accordée à l'obligation de résultat de sécurité mène aujourd'hui bien souvent à "une obligation de garantie en matière de santé", affirme la professeur. Ainsi, la Cour s'avère même plutôt en avance, et est déjà passée de la sécurité à la santé au travail. Notion, pourtant très récente en France.

Prise d'importance des avis des médecins du travail

Dans ce contexte, on peut noter que les recommandations émises par le médecin du travail prennent beaucoup plus d'importance et deviennent presque prescriptives puisque elles pourront être utilisées par les tribunaux pour statuer sur l'absence de mise en place de mesures appropriées et le fait que l'employeur ne pouvait ignorer un danger par exemple.

Conséquences pour l'employeur

C'est tout autant l'organisation collective que les relations individuelles qui peuvent être sanctionnées. La faute de l'employeur peut être une simple omission qui est aussitôt qualifiée de violation d'obligation de résultats de sécurité que des propos insultants, des clauses de rémunération. Cependant cette créativité pose beaucoup de question pour l'employeur dont la sécurité juridique est effectivement mise à mal. Par exemple, des licenciements peuvent être annulés pour des raisons de santé au travail (oubli de visite médicale, droit de retrait etc.). "Mais il faut bien penser que cette jurisprudence est en construction et que certains cas peuvent être interprétés comme la volonté de faire un exemple qui dès lors va peut-être trop loin", tempère la spécialiste. On pense par exemple à ce cas où l'employeur mis au courant d'un acte de harcèlement prend les dispositions nécessaires pour faire cesser le fait mais est tout de même sanctionné. "Bien sûr ces décisions peuvent décourager certains employeurs, mais c'est peut-être là le prix à payer pour faire évoluer les mentalités. N'oublions pas qu'il y a encore quelques années, dans certains milieux, le harcèlement sexuel paraissait presque normal !" conclut Thérèse Aubert-Monpeyssen.

Auteur : Par Sophie Hoguin, actuEL-HSE.

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