«REACH fonctionne, mais le système est beaucoup trop lent»

Classé dans la catégorie : Institutionnels

Tony Musu représente la Confédération européenne de syndicats au sein de l'ECHA, l'agence européenne des produits chimiques qui, depuis Helsinki, assure la mise en œuvre de REACH. Il dresse un premier bilan, quelques semaines après la clôture de la première phase d'enregistrement des substances chimiques.

Les entreprises avaient jusqu'au 30 novembre 2010 pour enregistrer auprès de l'ECHA leurs substances produites à au moins 1000 tonnes par an et les Cancérogènes, Mutagènes ou Reprotoxiques (CMR) produits à plus d'une tonne par an. Cette première étape a-t-elle été un succès?

Quelques chiffres d'abord: près de 25.000 dossiers ont été déposés par les entreprises. Ces dossiers recouvrent à peu près 4.300 substances. Les craintes étaient que l'ECHA ne puisse pas gérer tous ces dossiers ou que les entreprises ne puissent pas remettre leurs dossiers à temps. Mais tout ça n'est pas arrivé. Le système informatique mis en place par l'ECHA a tenu le coup. L'agence a pu gérer tous les dossiers et n'a pas dû avoir recours au plan B et autres systèmes de secours. Les industriels qui voulaient enregistrer ont réussi à le faire. Il y a eu très peu de cas d'industriels voulant enregistrer leurs substances qui n'y sont pas parvenus. La première conclusion est donc que la partie enregistrement de REACH fonctionne, aussi bien pour les industriels que pour l'administration chargée de sa mise en œuvre. Le deuxième enseignement que nous pouvons déjà tirer est que le nombre de dossiers reçus est conforme à ce qui était attendu. Par contre, le nombre de substances est inférieur à ce qui avait été prévu.

Ces dossiers doivent maintenant être évalués…

Tous ne seront pas évalués. REACH prévoit en effet différents types d'évaluation. En ce qui concerne la conformité, seuls 5% des dossiers vont être contrôlés. Par contre, l'ECHA devra donner un avis sur tous les dossiers qui contiennent des propositions de tests sur animaux. La mesure a pour but d'éviter les tests in vivo qui ne se justifient pas.

Des données sur les substances ont été introduites dans le système géré par l'ECHA. Maintenant se pose la question de l'accès du public à ces informations…

Le constat quant à l'accès à ces informations est clairement décevant. Le procédé de mise à disposition des données est très lent et il ne concerne pour l'instant que quelques centaines de substances. L'ECHA est très timorée à cause de la confidentialité des données réclamée par les entreprises. Elle se montre très prudente dans la mise à disposition des données. Elle est manifestement très soucieuse de protéger les intérêts commerciaux des entreprises. Des discussions sont en cours au sein de l'ECHA quant à l'interprétation à donner aux dispositions du règlement portant sur l'information qui doit être disponible sur le site de l'agence. Il y a notamment une grosse polémique qui concerne le nom des fabricants qui ont enregistré des substances. L'ECHA considère que cette information est confidentielle, les organisations syndicales, au contraire, estiment qu'elle doit rendre cette information publique.

Le principal espoir placé par les syndicats dans REACH concerne la substitution des CMR censée être encouragée par le volet Autorisation du texte. Les choses évoluent-elles ?

L'objectif est de progressivement remplacer les substances les plus dangereuses par des alternatives plus sûres en rendant plus difficile l'utilisation de cancérogènes par les industriels. Il s'agit d'une procédure complexe qui passe par une étape d'identification de substances candidates à l'autorisation. Tout ce que l'on peut dire pour l'instant, c'est que le nombre de substances présentes sur cette liste est beaucoup trop faible. Plus de trois ans après l'entrée en vigueur de REACH, on n'y trouve actuellement que 46 substances alors qu'on estime que 1.500 substances pourraient y figurer. Les intentions de l'autorisation sont excellentes, mais malheureusement le système est beaucoup trop lent. À ce rythme-là, on ne peut espérer des résultats concrets en matière de prévention du risque CMR que dans de nombreuses années.

Il est également question en ce moment d'étendre la procédure d'autorisation aux substances dites "sensibilisantes" et aux "perturbateurs endocriniens"*…

Le volet autorisation de REACH est limité à certaines substances. Il s'agit d'abord des CMR et des PBT (persistants, bioaccumulatifs, toxiques). À côté de ces deux catégories, il existe une troisième catégorie, qui n'est pas très bien définie, qu'on appelle les "substances suscitant un degré de préoccupation équivalent" Les "perturbateurs endocriniens" et "les sensibilisants", pour l'instant les deux grands absents du volet autorisation, pourraient entrer dans cette catégorie. En effet, la liste de substances candidates à l'autorisation n'en contient aucun. Cette troisième voie d'entrée dans la liste n'est donc pas encore utilisée. Y parvenir est, très clairement, un des objectifs des organisations syndicales à l'ECHA.

Parallèlement à la mis en œuvre de REACH, l'ECHA assume également l'application au niveau européen du nouveau système international de classification et d'étiquetage des substances dangereuses, dit "règlement CLP".

Du point de vue des travailleurs, la disposition la plus importante de ce règlement est l'obligation, pour toutes les entreprises en Europe qui mettent sur le marché des substances dangereuses, de notifier à l'ECHA la classification et l'étiquetage de ces substances et cela quel que soit le volume de production. L'objectif est de bâtir une grande banque de données qui reprendrait toutes les substances dangereuses disponibles sur le marché européen. L'ECHA a récolté à ce jour des données pour 107.000 substances classées dangereuses par leurs fabricants. Le chiffre est relativement élevé, car on estimait auparavant que 100.000 substances étaient présentes sur le marché européen, toutes n'étant pas considérées comme dangereuses. Ces données seront rendues publiques par l'ECHA, mais il faudra encore attendre jusqu'en juin 2011.

Propos recueillis par Denis Grégoire, responsable de l'information, ETUI

* Les "sensibilisants chimiques" sont des substances chimiques de l’environnement industriel susceptibles de provoquer des allergies de type cutané ou respiratoire. Les "perturbateurs endocriniens" sont des substances chimiques, d'origine naturelle ou artificielle, qui peuvent interférer avec les hormones naturelles.

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