Le commerce équitable : quel impact sur les pays du sud ?

Alors que le commerce équitable commence à se faire une place, les consommateurs sont de plus en plus avides d’information concernant son apport pour les petits producteurs du sud. De plus en plus objet de critiques, la filière multiplie donc les études pour démontrer l’apport financier mais aussi, et surtout, social du commerce équitable pour les paysans et leur famille.

Thé, café, banane mais aussi jean ou gel douche…les produits labellisés « commerce équitable » se sont multipliés depuis une dizaine d’années, notamment par le biais de la grande distribution. En 2008, 700 000 familles françaises supplémentaires ont consommé régulièrement ce type de produits, ce qui a permis d’augmenter les ventes de 22%. Elles sont aujourd’hui estimées à 260 millions d’euros, selon les chiffres Max Havelaar. « Ce sont là des signes encourageants mais on est loin d’une déferlante. Rappelons que pour le café, qui est le produit le plus vendu, le commerce équitable ne concerne que 3 % des ventes totales mondiales », nuance Joaquin Muñoz, directeur général de Max Havelaar France. Et sa conquête d’un public plus large est encore loin d’être acquise. D’autant plus que, désormais sensibilisé, le consommateur demande davantage de transparence. Il veut savoir à qui profite le prix minimum et si le commerce équitable est vraiment bénéfique pour les pays en développement. 57 % des personnes connaissant le concept du commerce équitable estiment ainsi ne pas avoir assez d’informations sur les produits, selon un sondage Ipsos, réalisé en 2008.

Cette demande est renforcée par le fait que des critiques émanant de chercheurs, économistes et autres journalistes commencent à voir le jour. « Le commerce équitable aborde un passage délicat de sa jeune histoire », affirme ainsi Frédéric Karpyta dans son livre « La face cachée du commerce équitable ». La question de l’impact du développement de la filière dans la grande distribution ou les chaînes multinationales sur les petits producteurs du Sud est largement débattue. Car si ces nouveaux canaux ont sans conteste fait progresser les ventes, apporté de nouveaux débouchés et contribué à la diffusion du concept, la nécessité de faire face à une demande beaucoup plus importante a pu avoir certains effets négatifs.

Certains petits producteurs ont pu être évincés au profit de plus grands pour répondre plus facilement à la demande ce qui a généré des interrogations sur le traitement des salariés dans les grandes plantations. « Le risque est grand de voir apparaître un commerce équitable à deux vitesses ; il se dessine déjà », craint Frédéric Karpyta. Les acteurs de la filière commencent d’ailleurs à se déchirer. « Sous la pression de traders demandant de gros volumes, Max Havelaar certifie aujourd’hui des producteurs qui ne devraient pas l’être. Certains, dans la filière du jus d’orange brésilien par exemple, sont labellisés alors qu’ils cultivent par ailleurs des OGM », dénonce Tristan Lecomte, le fondateur d’Alter Eco qui travaille pourtant avec le label depuis ses débuts. Une accusation démentie par Max Havelaar.

Des études pour rassurer

Pour rassurer les consommateurs sur l’apport de la filière, marques et labels multiplient donc les outils et études. Alter-eco, qui informe déjà ses consommateurs avec l’alter-écomètre montrant le revenu supplémentaire perçu par les producteurs (68 % en moyenne de plus que le marché), a lancé avec Leclerc le « Labo du commerce équitable ». Depuis l’an dernier, celui-ci met à disposition du public les audits réalisés dans les coopératives et un rapport annuel, cette année sous l’angle de la souveraineté alimentaire. De son côté, une autre marque Ethiquable, utilise les emballages de ses produits et son site Internet pour fournir des informations sur le producteur et l’impact du commerce équitable sur la communauté.
Régulièrement sous le feu des critiques, le label Max Havelaar vient, lui, de publier son bilan concernant les petits producteurs d’Amérique latine (le prochain traitera des salariés des plantations). « Les conclusions sont claires », affirme le rapport. « Avec le concours du commerce équitable, les producteurs stabilisent leur revenu et s’assemblent dans des organisations qui leur permettent de renforcer leur position dans le commerce et dans la société ». Pour les familles, plus que le revenu supplémentaire (environ 48,5 € de plus par producteur et par an en 2004, selon FLO), c’est en effet davantage l’importance du prix minimum garanti comme protection contre les variations de prix du marché qui est mis en avant. « Cela permet notamment aux familles d’avoir plus facilement accès au crédit et de se sentir épaulées », résume Joaquin Muñoz.
Pour la coopérative, qui perçoit la prime de développement, le concept permet aussi de financer de nouvelles infrastructures et des formations. « De plus, indirectement, le fait que les producteurs soient mieux payés font qu’ils investissent davantage dans la qualité et la durabilité de leur culture », note Jean-Jacques Boutrou, directeur d’Agronomes et vétérinaires sans frontières (Avsf). Et ce d’autant plus qu’aujourd’hui, les coopératives certifiées sont poussées à cultiver biologique.
Parfois, c’est toute la communauté locale qui profite des bénéfices du label : « dans le cas où le poids des coopératives certifiées est important, nous observons aussi une tendance à la hausse du prix du marché local », insiste Avsf. Autre apport, tout aussi important et que souligne également le délégué général d’Artisans du Monde, Laurent Levard, c’est « leur prise de poids dans les négociations. D’abord commerciales, parfois même dans la filière traditionnelle, mais aussi politiques. Certaines coopératives participent désormais à l’élaboration de la réglementation nationale ». Un effet d'entraînement donc, qui permet aux coopératives de prendre de plus en plus d’autonomie jusqu’à développer de nouveaux échanges Sud-Sud, à l’image de Faces do Brasil ou d’Enda au Sénégal.

L’impact économique

Selon Avsf, si l’apport financier du commerce équitable est variable selon les régions, les fluctuations des cours et les produits, un référentiel peut cependant être dégagé : le seuil de survie pour une famille classique moyenne de 4 personnes est de 608 € par an et le seuil de vie durable (permettant l’éducation des enfants et des investissements) de 1343 €. Une famille cultivant 4 hectares de café pour le commerce traditionnel percevra environ 477 €, l’obligeant donc « à se diversifier voire à cultiver des cultures illégales », selon le directeur d’Avsf, Jean-Jacques Boutrou. Si en revanche cette famille vend 30% de sa culture au commerce équitable et le reste dans des filières bio ou éthiques, elle touchera 1493 €. L’impact est encore plus important en cette période de crise, selon un rapport de Max Havelaar. Déjà, en 2008, la hausse du prix des matières premières avait multiplié par deux le budget dédié par les familles du Sud à leur alimentation de base. Ensuite, la crise financière leur a rendu plus difficile encore l’accès au crédit.

Auteur : Béatrice Héraud, Novethic

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