Risques chimiques, des expositions qui passent trop souvent sous les radars

Omniprésents en milieu de travail, les produits chimiques sont parfois utilisés et manipulés sans réelle conscience des dangers. Or, toute exposition, même à de faibles quantités de polluants, comporte des risques. De plus, dans une majorité de situations, les travailleurs sont exposés simultanément à plusieurs produits voire plusieurs nuisances...

Solvants, peintures, colles, carburants, produits de nettoyage… Ces produits sont utilisés dans de très nombreuses entreprises, sans que celles-ci ne se sentent toujours concernées par les risques chimiques, notamment quand leur coeur de métier est ailleurs. En France, un tiers des salariés se disent exposés à au moins un produit chimique et plus de 1,8 million de travailleurs à au moins un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction (CMR), d’après les données de l’enquête Sumer 2017. Aucun secteur d’activité n’est épargné.

Les effets des produits chimiques sur la santé peuvent être nombreux. Certains sont immédiats, comme les irritations ou intoxications aiguës, d’autres, comme les cancers, interviennent plus ou moins longtemps après l’exposition des travailleurs. Le risque est d’autant plus insidieux que certaines manifestations mettent des années, voire des dizaines d’années à apparaître, y compris lorsque les salariés ont été exposés à des quantités de polluants qui peuvent sembler faibles. Le risque chimique est aujourd’hui la deuxième cause de maladies professionnelles en France. En 2019, plus de 1 700 cancers professionnels ont été reconnus pour les régimes général et agricole dont plus de 1 350 cancers liés à l'amiante.

Un programme de prévention

Depuis de nombreuses années, ce risque est au cœur des programmes de prévention déployés par l’Assurance maladie-risques professionnels. Longtemps, ces programmes ont visé à soustraire les salariés à l’exposition à un ou plusieurs CMR. À partir de 2014, ils se sont concentrés sur l’accompagnement des entreprises dans la prévention de l’exposition aux fumées de soudage, aux émissions de moteur diesel, au styrène et au perchloroéthylène (dans les pressings), dans des secteurs pour lesquels il existait des solutions de prévention connues et éprouvées. Désormais, un programme Risques chimiques Pros, ouvert à tous et centré sur certains polluants CMR les plus cités par les travailleurs, cible plus particulièrement 5 000 entreprises représentant plus de 100 000 salariés. Son ambition est le déploiement d’une démarche globale de prévention du risque chimique dans les entreprises, dans le but de les rendre autonomes en prévention. Le bâtiment et les travaux publics, les ateliers de réparation automobile, les centres de contrôle technique, les menuiseries et les métiers du bois, l’industrie mécanique, les laboratoires d’analyse ou encore les établissements de soins comptent parmi les secteurs les plus ciblés. La proportion de petites entreprises y est importante. La démarche Risque chimiques Pros, accessible depuis un espace privé sur le site ameli.fr/entreprise, est découpée en quatre temps forts : la désignation d’un pilote pour animer et mettre en œuvre le projet en y associant les salariés, l’identification des produits chimiques utilisés ou émis afin d’évaluer les risques et établir ensuite un plan d’actions, le déploiement des actions prioritaires en s’assurant de leur efficacité, et enfin leur pérennisation en intégrant la prévention des risques chimiques dans l’organisation de l’entreprise. Il est prévu, pour les établissements ciblés, des temps d’échanges obligatoires avec les Carsat/Cramif/CGSS. Pour les entreprises de moins de 50 salariés, l’Assurance maladie-risques professionnels propose depuis mars 2021 deux nouvelles subventions prévention TPE, « Risques chimiques Pros équipements » et « Risques chimiques Pros peinture en menuiserie ». Elles complètent l’offre préexistante, à savoir les subventions « Airbonus » pour les centres de contrôle technique et les ateliers de réparation automobile, et « Soudage + sûr », destinée aux entreprises ayant des activités de construction métallique. Ces financements, portant sur des éléments concrets, incitent à passer à l’action.

Supprimer ou substituer

Afin de mener à bien la première étape qui consiste à évaluer les risques chimiques, dans le cadre d’une démarche globale d’évaluation de l’ensemble des risques professionnels, de nombreux outils sont disponibles. Seirich, notamment, est un logiciel développé par l’INRS et ses partenaires pour aider les entreprises à réaliser l’inventaire des produits chimiques utilisés, quels que soient leur secteur d’activité et leur niveau d’expertise. Certaines organisations comme le Conseil national des professions de l’automobile ou l’OPPBTP (Organisme professionnel de prévention du BTP) ont également développé leur propre outil d’évaluation des risques professionnels. Les mesures à mettre en place face aux risques chimiques donnent toujours la priorité à la suppression ou à la substitution des produits et procédés dangereux par d’autres produits ou procédés moins dangereux, ceux présentant des risques CMR étant les premiers à éliminer. Quand ni la suppression ni la substitution ne sont réalisables, c’est un ensemble de mesures de protection collective techniques ou organisationnelles qui doivent permettre de réduire le plus possible le niveau du risque, les quantités de produits utilisées, le nombre de salariés exposés ou encore la fréquence ou la durée des expositions. Il s’agit par exemple de capter les émissions à la source, d’encoffrer certains procédés, de ventiler les locaux et, en dernier recours et en complément, de porter des équipements de protection individuelle. Enfin, s’ajoute la mise en place de mesures d’hygiène et d’urgence, et d’un suivi médical.

Mieux cerner les expositions multiples

Pour quantifier les expositions des salariés par inhalation, des mesures de la concentration des agents chimiques dans l’air peuvent être réalisées. Les mesures de prévention adoptées doivent permettre le respect des valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP), qui désignent des niveaux de concentration en agents chimiques dans l’atmosphère des lieux de travail à ne pas dépasser. L’objectif reste toutefois la réduction des expositions au niveau le plus bas possible. C’est d’autant plus important que, sur le terrain, l’exposition aux produits chimiques ne concerne rarement qu’une seule substance. Les expositions multiples aux agents chimiques peuvent avoir des effets imprévus sur la santé, qui ne correspondent pas forcément à la somme des effets causés par chacun des composants pris isolément. Depuis plusieurs années, l’INRS travaille pour améliorer les connaissances sur l’impact sur la santé de la polyexposition aux produits chimiques. Des études ont déjà démontré que 16 % des situations à risque détectées en prenant en compte ces expositions multiples ne le seraient pas avec une approche classique par substance. Sans remettre en cause la démarche d’évaluation et de prévention des risques chimiques telle que décrite plus haut, la prévention des polyexpositions peut s’inscrire en complément, dans le but de repérer des situations qui, sans cela, passeraient inaperçues. L’INRS a développé des outils, comme Mixie France, qui permettent d’aider à évaluer l’impact sur la santé de l’exposition à des mélanges de substances chimiques.

L’identification de nouvelles situations à risque peut ainsi conduire à prioriser ou renforcer certaines mesures de prévention, ou encore à mettre en place le suivi médical le plus adapté au contexte. Plus largement, la notion de nuisances multiples ne concerne pas que les produits chimiques. Les expositions à des substances chimiques et au bruit peuvent par exemple avoir un impact sur la santé des salariés coexposés. Il en est de même pour les expositions aux produits chimiques couplées à des expositions à des agents biologiques, aux contraintes physiques, ou encore au travail de nuit et aux horaires atypiques. Là aussi, les données sont encore limitées, mais les investigations sont en cours.

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