Affecter un intérimaire sur un poste à risques sans formation renforcée à la sécurité revient à violer l'obligation de sécurité

Classé dans la catégorie : Général

La contravention de blessures involontaires est transformée en délit, suite à la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Des manquements que les juges imputent au directeur technique de la société, titulaire d'une délégation de pouvoirs et disposant des moyens pour l'exercer.

Un étudiant âgé de 19 ans, a été embauché par une société d'intérim qui l'a mis à la disposition de la société S., exploitant une entreprise de métallurgie, pour occuper un emploi de manutentionnaire en atelier, du 4 au 20 juillet 2007. Le 18 juillet 2007, il a été affecté au poste de métallurgiste pour le pliage de pièces métalliques, au moyen d'une presse. Il y a été assujetti aux mêmes cadences de travail que les autres ouvriers. Et c'est après plus de quatre heures d'intervention qu'il a été victime d'un accident, plus précisément d'un écrasement de la main gauche, qui lui a occasionné une incapacité totale de travail de trente-cinq jours.

À la suite de cet accident, la société S. a été poursuivie devant le tribunal correctionnel du chef de blessures involontaires suivies d'une incapacité n'excédant pas trois mois. On peut rappeler que selon l'article R 625-2 code pénal, de telles blessures constituent, en principe, une contravention punie d'une amende de la 5e classe. Toutefois, lorsqu'elles sont consécutives à une violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, ces blessures deviennent délictuelles, et les peines sont portées, par l'article 220-20, à un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. La faute délibérée intervient donc comme une circonstance aggravante de l'infraction. Les juges ont estimé que tel était le cas en l'espèce, et la société a été condamnée à une amende de 32 000 euros.

Une violation d’une obligation particulière de sécurité…

Puisque seule la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement est de nature à transformer en délit la contravention de blessures involontaires (l'autre faute qualifiée, la faute caractérisée, n'a pas cet effet), la question était de savoir si une telle faute avait été commise. Il ne faisait pas de doute pour les juges que l'accident s'expliquait par l'absence d'une formation suffisante délivrée à la victime : jeune étudiant, entré dans l'entreprise depuis moins de quinze jours, sans aucune expérience dans les métiers de la métallurgie, il n'avait pas été formé à la mise en œuvre de la machine dangereuse que constitue une presse plieuse dédiée au travail à froid des métaux. Par ailleurs, aucune fiche de suivi de la procédure d'accueil n'avait été signée par le salarié et l'employeur. Il n'avait pas été établi de document décrivant la formation dispensée, signé du salarié et de l'employeur. Enfin, aucun test d'évaluation complété par le salarié attestant de sa bonne compréhension de la formation renforcée à la sécurité n'avait été défini.

… qui doit être délibérée

Toutefois des manquements aux normes de sécurité ne suffisent pas à conclure à l'existence de la faute exigée par l'art. 222-20. En effet, la faute délibérée suppose que la norme méconnue pose une obligation "particulière" de prudence ou de sécurité et que sa violation a été intentionnelle. Les juges du fond reprochaient à la prévenue une violation des articles L. 4121-1, L. 4121-2, L. 4141-2 et L. 4152-2 du code du travail, mais cette dernière estimait que ces dispositions ne font que poser des grands principes de formation, et ont donc un caractère général.

La chambre criminelle ne vise, elle, que le seul article L 4142-2 – "Les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée et les salariés temporaires affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d'une formation renforcée à la sécurité, dans les conditions prévues à l'article L. 4154-2" – et lui reconnaît le caractère d’obligation particulière.

Selon l’article L 4154-2 : "Les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont employés. La liste de ces postes de travail est établie par l'employeur, après avis du médecin du travail et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, s'il en existe. Elle est tenue à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L 8112-1".

Pour établir le caractère délibéré de la violation de la réglementation, la chambre criminelle se réfère aux circonstances de l'accident : la victime avait été embauchée en qualité de simple manutentionnaire, elle était dépourvue de toute qualification et, pourtant, elle avait été postée sur une machine dangereuse pendant plusieurs heures. Tout cela ne pouvait que manifester une volonté de méconnaître la réglementation. D'autant plus que, comme le souligne la chambre criminelle, "d’une manière générale, aucune procédure n'était prévue pour former les salariés intérimaires dans l'entreprise, par souci de rentabilité".

Dans la mesure où c'est la société qui était poursuivie, il restait à démontrer que l'infraction avait été commise par un organe ou représentant. Soucieux désormais d'identifier précisément la personne physique auteur des faits, les juges notent que les manquements étaient imputables au directeur technique de la société, titulaire d'une délégation de pouvoirs et disposant des moyens pour l'exercer.

Document joint : Cass. crim., 25 avr. 2017, n° 15-85.890

 

 

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