Le harcèlement moral, 10 ans après

La loi sur le harcèlement moral fête ses 10 ans ce mois-ci. L’occasion de faire le point sur son application en pratique mais aussi sur ses dérives… Pascale Lagesse, associée au cabinet Bredin Prat, et Bruno Lefebvre, psychologue clinicien, nous font part de leur expérience sur le terrain.

Les Cahiers Lamy du CE : La définition du harcèlement moral vous paraît-elle pertinente ?

Pascale Lagesse : Selon le Code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » (C. trav., art. L. 1152-2 issu de la loi de modernisation sociale n° 2002-73 du 17 janvier 2002). Le Code pénal donne sensiblement la même définition en prévoyant que « le fait de harceler autrui par des agissements ayant pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende » (C. pén., art. 222-33-2). L’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail apporte également des éléments de définition. Ainsi, le harcèlement moral survient « lorsqu’un ou plusieurs salariés font l’objet d’abus, de menaces, et/ou d’humiliations répétés et délibérés dans des circonstances liées au travail, soit sur les lieux de travail, soit dans des situations liées au travail ». Ce qui compte, on le voit, ce sont les impacts des agissements coupables et leur caractère répétitif, récurrent, même si les tribunaux n’exigent pas que ces agissements se déroulent sur une longue période (Cass. soc., 26 mai 2010, n° 08-43.152). La définition n’est pas totalement satisfaisante mais il est difficile d’en trouver une qui puisse englober l’ensemble des situations susceptibles de se produire car il s’agit de conceptualiser de manière générale des situations qui font appel à la psychologie et au subjectif… La difficulté réside dans le fait que, pour une situation donnée, tous les salariés ne vont pas réagir de la même façon puisque nous avons tous un passé psychologique différent.

Bruno Lefebvre : La définition actuelle est perfectible car elle décrit le harcèlement autant par la source (la répétition de certains actes) que par ses conséquences (l’impact sur le salarié). Le contenu se montre donc imprécis et sujet à interprétation. La question est de savoir si l’on veut évaluer les agissements du manager, de l’entreprise, ou si l’on s’intéresse à leurs conséquences. Ce n’est pas parce qu’il y a un impact sur le salarié qu’il y a nécessairement une faute de la part de l’auteur de l’acte. Par exemple, est-ce que le fait qu’un salarié souffre d’une critique veut nécessairement dire que celui qui l’a énoncée est responsable ? Il y a un décrochage entre l’acte et son impact et c’est une des complexités du harcèlement moral. Selon moi, 3 étapes peuvent être distinguées dans l’histoire du « harcèlement moral ». D’abord, Marie-France Hirigoyen parle en 1998 de « violence perverse ». Sa définition du « pervers narcissique » inspire les parlementaires pour légiférer sur le harcèlement moral. Ensuite, une autre étape est franchie lorsqu’il est établi que le terme de « harcèlement » peut provenir d’un manque de compétence managériale : comportement managérial trop perfectionniste, maladroit, manquant d’affirmation face aux équipes ou d’écoute de leurs besoins. On se rend alors compte que la notion recouvre une réalité plus large que celle conçue auparavant.

Aujourd’hui, nous arrivons à une troisième étape marquée par un changement majeur : le harcèlement moral n’est plus uniquement le fait d’un individu vis-à-vis d’un autre mais aussi le fait d’une organisation de travail ou de décisions de gestion constituant une pression inadéquate sur un individu ou un groupe. On parle de « harcèlement institutionnel » ou de « harcèlement stratégique ». Cette forme de harcèlement, encore méconnue, peut aussi bien mettre en cause la gouvernance même de l’entreprise que le management d’une de ses entités. Lire la suite de l'article... (p 7 à 10).

Auteur : Les Cahiers Lamy du CE, janvier 2012, n° 111, propos recueillis par Marie-Charlotte Tual
Bruno LEFEBVRE, AlterAlliance et Pascale LAGESSE, Avocat associé, Cabinet Bredin Prat.

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