Les managers face aux paradoxes de l'entreprise

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Chargés de garantir les résultats autant que de veiller aux situations de mal-être, les managers dits de « proximité » sont de plus en plus pris entre le marteau et l'enclume…

A EDF, Renault ou France Télécom, partout où le phénomène de contagion des suicides a fait tâche d’huile, les managers dits de « proximité » ont du coiffer la casquette de sentinelle. « Ils se retrouvent coincés entre deux exigences : assurer la performance de leur équipe et veiller aux conditions de travail », observe l’universitaire Stéphane Bellini, spécialiste des sciences de gestion. La pression s’accentuant, il n’est plus question, en effet, de négliger l’humain. Cette nécessité de détecter les collaborateurs fragilisés n’est pas uniquement philanthropique. L’obligation de sécurité de résultat pèse comme une épée de Damoclès sur la tête des employeurs. Ce qui les contraint à prendre toute mesure de prévention pour protéger la santé physique et mentale de leurs salariés. Les managers de terrain sont donc en première ligne pour détecter les signaux avant-coureurs de mal être et alerter la hiérarchie.

Ils doivent ouvrir l’œil sur des signaux avant-coureurs de mal être : incapacité à respecter les délais, défaillance de l’attention et de la mémoire, retards injustifiés, erreurs fréquentes, bonjour matinal esquivé, humeur labile, perte du sens des priorités… « D’autres indices peuvent laisser supposer qu’un malaise s’installe : si le collaborateur s’isole de l’équipe, multiplie les petits conflits avec ses collègues ou s’absente fréquemment, c’est probablement le signe qu’il n’est pas dans son état habituel », explique le psychosociologue Bernard Gbézo, consultant en santé au travail et directeur de formation auprès du Bureau international du travail (BIT).

Comment détecter ?

Plus difficile à repérer : la dépression masquée qui, selon certains praticiens, peut se manifester par une hyperactivité qui risque de conduire au burn-out, c'est-à-dire, à l’épuisement professionnel. La dépression peut aussi se traduire par une perte de la bonne humeur, une diminution de l’intérêt et du plaisir, une importante perte ou prise de poids, des insomnies répétées, une agitation ou un ralentissement cérébral, un sentiment de fatigue, de dévalorisation ou de culpabilités excessives, des troubles de la concentration, voire des idées suicidaires. Ce sont là les neuf critères recensés par la Psychiatric American Association qui fait référence en la matière.

Pour le manager, il n’est certes pas aisé de cerner la part des problèmes personnels des problèmes professionnels chez un salarié fragilisé, d’autant que les déclencheurs de la dépression sont complexes et multi-factoriels. Parmi les causes probables ? Le stress, une surcharge ou une sous-charge de travail, de mauvaises conditions de travail, une rupture, un deuil etc. Dans un document destiné aux managers, l’OMS (Organisation mondiale de la santé) a même recensé les signaux pouvant être annonciateurs d’un suicide. Par exemple, un collaborateur qui sombre dans le mutisme, ne croit plus à l’organisation, se plaint de manquer de soutien, devient impulsif, voire agressif, doit susciter une vigilance accrue. « Face à ces situations, un manager se doit de réagir, c'est-à-dire, tout simplement en parlant et en écoutant le collaborateur fragilisé. Ce qui, aujourd’hui, est loin d’être un réflexe naturel dans les entreprises, » constate le psychologue clinicien Patrick Dupont.

Quelques règles de bon sens s’imposent. Tout d’abord, témoigner d’une écoute silencieuse, sans banaliser le malaise, ni le dramatiser. Ensuite, il s’agit de savoir doser indulgence et fermeté. En effet, on n’aide pas un salarié en crise en témoignant d’un excès de complaisance. Cela risquerait par ailleurs de décrédibiliser le manager, en le faisant basculer dans un management de type « thérapeutique ». Pour aider la personne en souffrance, on peut donc l’inciter à se replonger dans l’action, en proposant, au besoin, quelques aménagements (par exemple, prévoir ponctuellement une journée en télétravail, changer de mission ou de responsabilités, différer les délais etc.). Il y a de multiples façons de prouver sa confiance à un salarié.

Le manager a ses limites

Les encadrants intermédiaires sont certes les mieux placés pour détecter les situations de souffrance. Mais n’est-ce pas les exposer eux-mêmes à la pénibilité mentale ? Ce rôle difficile est-il tenable, dans un contexte de course incessante à la performance ? On peut en douter, à l’analyse de l’actualité de France Télécom. « Pris entre le marteau et l’enclume, les managers sont soumis à des injonctions contradictoires. Notre direction leur demande d’être de véritables chefs d’orchestre et de repérer, en plus de leur rôle hiérarchique, des situations de souffrance. Ils ne peuvent pas veiller à tout, d’autant qu’ils ne sont pas formés pour cette mission. Il faut des acteurs « soupape », juge Sébastien Crozier, délégué syndical CFE-CGC/UNSA à France Télécom. Ce qui n’est pas si facile à trouver, dans une organisation où les RH sont totalement discrédités ! De son côté, le psychologue Patrick Dupont est formel : « Le manager n’est pas un psy ! Si son collaborateur vit des problèmes professionnels, son rôle est de l’aider en lui donnant, le cas échéant, des moyens supplémentaires. S’il s’agit de problèmes plus personnels, il est préférable de l’orienter vers l’interlocuteur qui sera le plus à même de l’aider. Dans les deux cas, il n’est pas question de laisser la personne en souffrance dans l’isolement. » Ce serait inhumain, contre-productif et rédhibitoire pour l’image de l’entreprise…

Auteur : M.J. Gava, Novethic

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