Malaise chez les médecins du travail

Classé dans la catégorie : Institutionnels

Véritable serpent de mer depuis ces dernières années, la réforme de la médecine du travail a finalement été mise sur la table en septembre dernier. Mais pas comme l'auraient souhaité les professionnels de la santé.

Les pierres d’achoppements ne manquent pas. Sur la forme, d’abord : « Ce projet est arrivé devant les députés dans le cadre de la réforme des retraites, c’est bien la preuve que les politiques n’osent pas l’assumer ! » assure Dominique Huez, Président de l’association Santé et médecine du travail (SMT). Sur le fond ensuite : le projet de réforme, en discussion au Sénat mi-octobre, provoque depuis ces dernières semaines une levée de boucliers chez les médecins du travail qui craignent un véritable démantèlement de la profession. Les dernières propositions de la Commission des Affaires Sociales du Sénat devraient néanmoins infléchir certaines mesures envisagées. Il n’en reste pas moins que, selon Dominique Huez, « cette loi porte ni plus ni moins la démédicalisation de la santé au travail ». Et il n’est pas le seul à le penser. Le Conseil National de l’ordre des médecins (CNOM) s’est, de son côté, positionné contre la réforme en cours, estimant que le texte voté le 15 septembre par l’Assemblée Nationale « ne répond pas aux attentes des salariés qui doivent bénéficier d’une prise en charge globale de leur santé, ni aux nécessités de l’exercice des médecins du travail dans le respect de leur indépendance technique. » Dans ce débat houleux, quelques acteurs isolés voient pourtant d’un bon oeil la réforme. Paul Frimat, professeur en médecine du travail à l’université de Lille, appelle ainsi ses confrères à la modération. Pour lui, « la dynamique législative a été impulsée », c’est un bon point.

Les raisons de la colère

Le texte de la réforme présenté en septembre a d’abord suscité la grogne des médecins du travail autour d’une crainte majeure : la remise en cause de leur indépendance. « Les missions définies sont exercées sous l’autorité de l’employeur, par les médecins du travail », a précisé l’un des amendements. « C’est carrément un transfert de pouvoir et de mission du médecin du travail à l’employeur ! », proteste Bernard Salengro, Président du Syndicat général des médecins du travail (SGMT). Le projet initial de la réforme a aussi prévu de conférer aux directeurs des services de la santé au travail (SST) la conduite des actions de prévention, et non plus aux médecins du travail. « Cela aboutit à faire de la médecine du travail un outil de pression sur les salariés, alors que le médecin du travail avait une mission de protection, anticipe Bernard Salengro. C’est une façon d’occulter la remise en cause des conditions de travail dans les entreprises. »

Le projet de réforme avancé par le Ministre du Travail Eric Woerth ne fait finalement qu’accroître un malaise déjà palpable chez les médecins du travail depuis ces dernières années. « Sur le terrain, beaucoup sont victimes de pressions et de manipulations, par exemple, pour ne pas se rendre dans certaines entreprises où les salariés subissent de mauvaises conditions de travail », rapporte Jeanne-Marie Ehster, auteur de « Menaces sur la santé au travail » (Pascal Galodé éditeurs). Cette ex médecin inspecteur du travail a elle-même du démissionner, comme une dizaine de ses confrères. Elle en avait assez, dit-elle, des pressions qui l’empêchaient d’exercer son métier. « Ras-le-bol » aussi pour Marie-Madeleine Gressé, médecin du travail, qui vient de mettre fin à ses jours. Avant sa mort, cette femme de 59 ans aurait remis à son avocat un dossier contenant de multiples attestations de pressions qu’elle subissait de la part de son entreprise et de celles au sein desquelles elle travaillait.

Quel avenir pour la médecine du travail ?

Quelle que soit l’issue des débats au Sénat, même si certains points ont été clarifiés, d’autres restent en friche, selon Dominique Huez . Un exemple ? Celui de l’intervention de plus en plus fréquente des infirmiers du travail sur le terrain, indépendamment de médecins du travail référents. « Le projet de réforme aurait mérité un vrai débat au niveau national », déplore Jean-François Naton, conseiller confédéral, responsable du secteur travail-santé à la CGT, qui se porte en faveur d’une transformation profonde des services de santé au travail. « La crise est liée au poids excessif des Medef locaux dans les Services de santé au travail », assure-t-il. L’actuel débat sur le paritarisme, engagé au Sénat, qui devrait néanmoins maintenir le principe de l’alternance employeur/salarié à la tête des services de santé au travail continue d’être dénoncé. « Sur le terrain, cela ne fonctionne pas, assure Jeanne-Marie Ehster. Comme sur le modèle danois, il faut obtenir la création de Groupements d’intérêts économiques afin que des représentants de l’Etat - comme les médecins inspecteurs du travail, les directeurs adjoints du travail ou les ingénieurs Carsat - soient représentés au Conseil d’administration, aux côtés des représentants du patronat. » Toujours est-il que la loi sur la santé au travail risque de ne pas rassurer les professionnels de la santé touchés, comme les salariés, par l’aggravation des troubles psychosociaux. Ils n’en mourront certes pas tous, mais tous seront frappés… écrivait la psychologue Marie Pezé *…

*Auteur de : « Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés » (Pearson).

Auteur : Marie-José Gava, Novethic

Article sur un sujet proche : " Médecine : des consultations en ligne dès 2011" par Puel Hélène, 01net

Les derniers produits des risques professionnels