"J'aime mon travail… mais il nuit à ma santé"

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La CFDT a comptabilisé plus de 200 000 répondants à son enquête "Parlons travail", qui montre clairement l'ambivalence du rapport au travail, à la fois source de plaisir et d'altération de la santé.

Seul un tiers des travailleurs sont dans une situation de travail "normale". Les réponses montrent le lien entre la charge de travail vécue et les liens santé/travail perçus.

Crédit CFDT

Si je gagne au Loto, j'arrête de travailler. Puisque l'on peut toujours rêver, face à cette éventualité, pour 39% des répondants à l'enquête de la CFDT "Parlons travail", c'est non, ils n'arrêteraient pas de travailler. Pourtant, ils sont à peu près la même proportion (35%) à indiquer que leur travail nuit à leur santé, voire même les délabre. 44% disent ressentir souvent des douleurs physiques à cause de leur travail, 36% déclarent avoir fait un burn-out, 34% dorment mal à cause du travail, 25% disent aller souvent au travail avec une boule au ventre et 8% affirment qu'ils ne pourraient pas tenir au travail sans médicaments. Pour cette enquête, dont les résultats ont été présentés hier, jeudi 16 mars 2017, la CFDT a réussi à faire s'exprimer plus de 200 000 travailleurs, à l'automne 2016, sur 172 questions (voir notre article).

"Cela ringardise le discours misérabiliste"

Le travail s'y montre à la fois sous un jour très positif : 38% pensent qu'ils ne pourraient pas être heureux sans travail, 77% aiment leur travail, 59% disent prendre souvent du plaisir au travail… et sous son pendant négatif, puisqu'un quart seulement des répondants pensent que leur travail est favorable à leur santé. Cette affirmation d'une altération de la santé grimpant à 40% des répondants chez les ouvriers ou employés, ou les personnes gagnant moins de 1500 euros. Une "ambivalence" qui interpelle Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT en charge des questions de santé au travail, pour qui "cela ringardise le discours misérabiliste sur le travail". "Les réponses sont ambivalentes, car le travail est ambivalent. J'aime mon travail et j'ai des difficultés dans mon travail, ce n'est pas incompatible", commente Hervé Lanouzière, directeur général de l'Anact.

La méthodologie de l'enquête

Jusque là, les plus grandes enquêtes sur le travail, telle que l'enquête Sumer, comptabilisent au mieux 50 000 répondants. Là, il y en a plus de 200 000. "Parlons travail" souffre cependant d'un "défaut de représentativité", reconnaît Céline Mardon, statisticienne et ergonome au CEE (centre d'études de l'emploi), puisque les répondants n'ont pas été tirés au sort : a répondu qui voulait et qui pouvait. Ce qui signifie qu'il s'agit de personnes prévenues de cette enquête, qui avaient le temps et les moyens techniques d'y répondre, et étaient suffisamment intéressées pour le faire. Pour pallier ce "défaut", plusieurs "redressements" ont été opérés, qui permettent d'obtenir un "échantillon pondéré dont la structure est acceptable au regard des variables prises en compte", expliquent les auteurs du rapport. L'échantillon pondéré n'est ainsi pas forcément complètement représentatif de la population des salariés en France, mais "il présente une structure convenable au regard des variables socio-démographiques de base".

Une minorité de travailleurs dans une situation de travail "normale"

Le secrétaire général de la CFDT se félicite avec cette enquête de pouvoir interpeller les candidats à la présidentielle – hier après-midi, Benoît Hamon, François Fillon, Alexis Corbière, représentant de Jean-Luc Mélenchon, et Emmanuel Macron, ont tour à tour réagi – sur le travail, "devenu invisible et mal traité dans le débat public, souvent caricaturé comme étant soit un coût à optimiser, soit une souffrance, une aliénation contre laquelle il nous faudrait lutter". "Au final, on a une vision du travail plutôt positive, commente-il, même si l'on ressent très fortement l'intensification du travail." Prendre ses congés, tout en ayant des objectifs raisonnables et le temps suffisant pour réaliser un travail dont la quantité exigée est perçue comme raisonnable : seul un petit tiers des répondants dit pouvoir cocher ces quatre cases. "Une minorité, donc, se trouve dans une situation que l'on pourrait pourtant juger 'normale' : celle qui met les travailleurs en situation de pouvoir faire face à leur tâche, sans pression dans le temps de travail légal", commentent Serge Volkoff et Céline Mardon.

"Prendre sur soi" crée une forte tension corporelle et psychique

À l'inverse, parmi ceux qui ne remplissent aucune de ces quatre conditions sont 64% à mal dormir à cause de leur travail, 60% à déclarer ressentir des douleurs physiques, 14% à recourir aux médicaments. La corrélation entre la charge de travail vécue et les liens santé/travail perçus est très claire. "Être confronté à des objectifs et des cadences inatteignables, à l'impossibilité de pouvoir bien travailler, engendre, surtout si cela est vécu solitairement et sans contestation, des pathologies de surcharge." Au fil des réponses, les modes de management sont souvent pointés du doigt. 51% des répondants disent ne pas pouvoir compter sur l'aide de leur supérieur et une majorité (62%) estime d'ailleurs que ne pas avoir de manager ne changerait rien à leur travail. "'Prendre sur soi' les contradictions organisationnelles, en courant après le temps, en sacrifiant la qualité […], en rognant sur les pauses, les soirées, les week-ends et les congés […] crée une forte tension corporelle et psychique", analysent les chercheurs.

"Une approche systémique de la qualité de vie au travail"

Pour Laurent Berger, "cela montre, nous le pensons, que le modèle hiérarchique, très vertical, de l'entreprise, est dépassé". "Si le travail demeure un lieu essentiel d'intégration sociale et d'épanouissement, il s'intensifie et ne laisse pas suffisamment de place à l'autonomie, à la créativité, à la vie personnelle", écrit la CFDT dans le "Manifeste pour le travail" diffusé en même temps que les résultats de l'enquête. Le syndicat revendique notamment "une approche systémique de la qualité de vie au travail, reposant sur le droit d'expression des salariés, afin d'apporter des réponses adaptées aux questions d'organisation et de charge de travail." "Quand on a signé l'accord QVT (qualité de vie au travail), en 2013, on avait dit qu'il faudrait au moins 10 ans pour que cela soit véritablement en œuvre", reconnaît Hervé Garnier, avec une inquiétude : "que cela reste le privilège des grandes entreprises".

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