Pénibilité : le CHSCT devrait "aller sur le terrain pour constater ce qui est vécu par les salariés"

Classé dans la catégorie : Général

Alors que les branches tardent à sortir les référentiels devant guider les entreprises sur l'application du compte pénibilité, Maria Le Calvez, experte risques physiques chez Secafi, appelle CE et CHSCT à travailler ensemble.

Le compte de prévention de la pénibilité a été instauré lors de la réforme des retraites de 2010 allongeant la durée de cotisation. Il a été alors présenté comme une contrepartie favorable aux salariés occupant des postes pénibles. Entré en vigueur le 1er janvier 2015, le principe de ce compte, dit C3P, consiste à attribuer des points aux salariés exposés à des travaux pénibles, ces points pouvant donner droit à une formation, à un temps partiel ou à un départ anticipé à la retraite (attention : les périodes prises en compte ne commencent qu'à partir de l'entrée en vigueur du dispositif, le compte n'est pas rétroactif). Leur acquisition s'effectue comme indiqué par le tableau suivant, qui figure sur le site officiel du compte de prévention de la pénibilité :

Le barème d'acquisition des points

Il est établi en fonction du nombre de facteurs de pénibilité déclarés pour votre exposition et de la durée de cette exposition.

Le calcul des points acquis fonctionne selon le barème suivant : 3 mois d'exposition à un même facteur au-delà du seuil donnent droit à 1 point.

 

  Salariés nés avant le 1er juillet 1956 Salariés nés après le 30 juin 1956
Salarié présent dans l'entreprise toute l'année

Exposition* au-delà du seuil à 1 facteur : 8 points

Exposition* au-delà du seuil à au moins 2 facteurs : 16 points

Exposition* au-delà du seuil à 1 facteur : 4 points

Exposition* au-delà du seuil à au moins 2 facteurs : 8 points

Salarié présent dans l'entreprise pendant une partie de l'année seulement (un mois minimum)**

Exposition* au-delà du seuil à 1 seul facteur de risques : 2 points par période d'exposition de trois mois dans l'année

Exposition* au-delà du seuil à au moins 2 facteurs de risques : 4 points par période d'exposition de trois mois dans l'année

Exposition* au-delà du seuil à 1 seul facteur de risques : 1 point par période d'exposition de trois mois dans l'année

Exposition* au-delà du seuil à au moins 2 facteurs de risques : 2 points par période d'exposition de trois mois dans l'année

* La durée d’exposition est appréciée dans les conditions habituelles du poste, en moyenne annuelle

** Salarié dont le contrat de travail a débuté et/ou fini en cours d’année

Tous les facteurs sont censés être pris en compte depuis juillet 2016

Le compte pénibilité a d'abord été limité à la prise en compte de 4 facteurs de pénibilité :

  • le travail de nuit;
  • le travail en équipes successives alternantes;
  • le travail répétitif;
  • les activités exercées en milieu hyperbare.

Depuis le 1er juillet 2016, le compte englobe l'ensemble des facteurs, c'est à dire en plus de ceux déjà cités :

  • les postures pénibles;
  • le bruit;
  • les agents chimiques dangereux;
  • les vibrations mécaniques;
  • les températures extrêmes;
  • les manutentions manuelles de charges.

Cela suppose donc que l'employeur évalue l'exposition de ses salariés à ces différents facteurs, sachant qu'un outil d'évaluation mis au point par chaque secteur d'activité pour les différents métiers (un référentiel) peut l'aider dans cette tâche. Problème : le patronat restant vent debout contre le compte pénibilité, les branches ne paraissent pas pressées de sortir ces référentiels, ce que dénoncent les syndicats comme la CFDT mais aussi la ministre du Travail (voir notre brève).

Abandon de la fiche

Il faut en effet rappeler que le gouvernement a assoupli le compte pénibilité. Une spécialiste comme Maria Le Calvez, ingénieur sécurité et référente nationale sur les risques physiques chez Secafi, déplore d'ailleurs l'abandon de la fiche de traçabilité individuelle entérinée par la loi Rebsamen du 17 août 2015 (voir notre article). "Le médecin du travail ne dispose plus de l'ensemble des informations d'un salarié qui étaient contenues dans cette fiche. Et il ne peut donc plus proposer un diagnostic aussi personnalisé, ce qui réduit d'autant son rôle en matière de prévention de la pénibilité", regrette Maria Le Calvez. Au départ, les entreprises devaient renseigner ces fiches en se basant sur le document unique d'évaluation des risques professionnels. "Mais le constat a été rapidement fait que certaines entreprises n'avaient pas rédigé ce document unique et que d'autres ne l'avaient pas fait de façon complète et suffisante", poursuit l'experte (voir notre article).

Référentiels

Ces carences, ajoutées aux protestations virulentes du patronat, ont amené le gouvernement à faire évoluer le dispositif en demandant aux branches de réaliser un référentiel facilitant le travail d'évaluation des entreprises. Mais là encore, le dispositif n'est pas si pertinent qu'il n'y paraît sur le papier selon Maria Le Calvez : comment un référentiel de branche peut-il prendre en compte, par exemple, les situations de travail, qui mêlent différents métiers sur un chantier dans le BTP, comment peut-il refléter la grande variété des métiers dans la métallurgie ? L'approche collective du référentiel aura du mal à refléter la réalité des expositions vécues par les salariés car sur le terrain, ces expositions ne sont pas homogènes et dépendent de l'environnement, du mode d'organisation de l'entreprise mais aussi du parcours professionnel antérieur du salarié, dont la santé a déjà pu être affectée par un accident du travail. Alors que le dispositif maintient une approche mono-cible, l'exposition à un facteur de pénibilité impacte, en réalité, plusieurs "cibles" dans l'organisme. "Par exemple, le facteur bruit n'est censé entraîner des conséquences que pour l'oreille, alors qu'on sait bien qu'une nuisance sonore peut avoir un impact sur la tension artérielle et la charge psychique et mentale", détaille Maria Le Calvez.

Aux élus du CHSCT et du CE d'être actifs

Dès lors, la spécialiste de Secafi suggère aux élus du personnel, et singulièrement aux membres du CHSCT, de s'intéresser aux spécificités de l'entreprise et, plus que jamais, aux conditions de travail des salariés, afin de nouer un dialogue social permettant une approche préventive plus efficace. Car ce sont ces conditions de travail qui déterminent la réalité de la pénibilité subie par les salariés. "Si je prends l'exemple des risques chimiques, on peut très bien considérer qu'un mécanisme d'extraction d'air pollué constitue une bonne protection collective. En réalité, tout dépend de la façon dont l'entreprise met en oeuvre cette installation censée être dimensionnée selon la nature des polluants, et des modalités réelles des expositions des salariés", dit Maria Le Calvez. Le CHSCT et le CE ont intérêt à être actifs au sujet de la prévention des risques professionnels et de la pénibilité.

Le CHSCT doit examiner lui-même les conditions de travail

Le CHSCT doit pleinement se saisir de l'opportunité que constitue la présentation par l'employeur, une fois par an, du rapport écrit faisant le bilan de la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans l'établissement, ainsi que du programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail (art. L.4612-16 du code du travail). L'instance doit en effet émettre un avis sur ce programme de prévention et peut, à cette occasion, "proposer un ordre de priorité et l'adoption de mesures supplémentaires" (art. L.4612-17). Les travaux du CHSCT sont de nature à nourrir le document unique d'évaluation des risques professionnels que l'employeur a la charge d'élaborer (art. L.4121-3). Ce document unique doit en effet comporter "un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de l'établissement" (art. R.4121-1). "Le CHSCT qui est saisi du rapport annuel doit en profiter pour examiner lui-même la situation des conditions de travail au regard de la pénibilité, donc aller sur le terrain pour constater ce qui est vécu par les salariés", conseille Maria Le Calvez. Cela ne justifie toutefois pas que le CHSCT saisisse un expert de cette question, sauf si l'instance parvient à objectiver l'existence de risques graves pour la santé.

Le CE se prononce aussi sur la pénibilité

Le CE est aussi amené à se préoccupé de la question de la pénibilité dans l'entreprise, notamment au moment de la consultation sur la politique sociale, l'emploi et les conditions de travail, l'une de ses trois grandes consultations annuelles (voir l'art. L.2323-15). Par exemple, illustre Maria Le Calvez, le CE peut être amené à demander une étude complémentaire sur le lien entre l'absentéisme et la pénibilité, le parcours professionnel et la pénibilité, etc. Il peut aussi demander à revoir les parcours professionnels des salariés si les résultats d'évaluation des facteurs de pénibilité affichent des expositions importantes. Cette préoccupation en matière de prévention de la pénibilité doit se faire de conserve avec le CHSCT.

Des évolutions souhaitables du cadre légal

Le débat politique actuel (les candidats à la primaire du droite et du centre veulent simplifier sinon supprimer le compte pénibilité) et l'hostilité du patronat au dispositif de reconnaissance et de prévention de la pénibilité ne permettent guère d'augurer une amélioration de ce dispositif pour les salariés dans les prochains mois. Cela n'empêche pas la spécialiste du cabinet d'expertise Secafi de souhaiter qu'à l'avenir, le dispositif tienne davantage compte :

  • des facteurs amplificateurs de l'exposition, tels que la variabilité individuelle (âge, sexe, antécédents d'accidents du travail, etc.) et la variabilité du contexte de travail (organisation, méthode de travail, poly-exposition, etc.);
  • des incertitudes relatives à la protection individuelle (utilisation, disponibilité, usure, formation, etc.) et collective (adaptabilité au risque, dimensionnement à toutes les situations d'exposition, maintenance, entretien, etc.);
  • mais aussi de biais relatifs à la mesure de l'exposition, c'est à dire à la métrologie : "La mesure d'une nuisance dépend de la qualité et de la pertinence du protocole de mesure, censé être établi sur la base d'un repérage complet et exhaustif des modalités d'exposition et de situations de travail les plus contraignantes", observe Maria Le Calvez.

 

 

 

 

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