Inspection du travail : des agents bientôt "plus autonomes" et spécialisés ?

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Les précédents volets de la réforme de l'inspection du travail ont amorcé une spécialisation des agents de contrôle. Vincent Tiano, sociologue et cadre au ministère du Travail, fait le point tandis que le dernier volet de la réforme doit être connu sous peu.

Le gouvernement s’apprête à dégainer la suite de la réforme de l’inspection du travail. L’ ordonnance prévue par l’article 261 de la loi Macron sur le sujet a été annoncée pour février. Mais le précédent volet de la réforme – la réorganisation – n’est visiblement toujours pas bien digéré par la profession. Fin décembre, le Conseil d’Etat estimait que le décret du 20 mars 2014 réorganisant l’inspection ne mettait pas à mal l’indépendance de ses agents (voir notre brève). Les syndicats d’inspecteurs du travail à l’origine du recours ont affirmé en retour vouloir saisir le BIT (bureau international du travail). Au vu des évolutions qui attendent très prochainement ce corps de métier, s’oriente-t-on vers une indigestion ? Vincent Tiano, sociologue et cadre au ministère du Travail, décryptait la situation fin janvier à la maison des Sciences économiques, à Paris.

Pilotage et travail collectif

"La précédente réforme est arrivée dans la foulée de celle d’avant, trop vite au goût de tout le monde", se souvient-il. Et avec un surnom : la réforme dite du "ministère fort". "Certainement pas une antiphrase", commente au passage Vincent Tiano. Destinée selon lui à résoudre le "problème identitaire entre contrôleurs et inspecteurs du travail" (voir encadré), elle a surtout généré une nouvelle organisation avec des unités de contrôle de 8 à 12 personnes, supervisées par un agent de contrôle. "L’objectif était de renforcer à la fois le pilotage et le travail collectif", rappelle le cadre du ministère. Selon un arrêté paru en décembre (voir notre brève) on compte actuellement 253 unités sur le territoire. On recense également 18 cellules spécialisées dans le contrôle du travail illégal, une par région.

Une inspection généraliste

Une spécialisation qui devrait prendre de l’ampleur puisque Selon Vincent Tiano, "il se dessine un développement des unités de contrôle spécialisées". Du moins "le gouvernement y aspire", précise-t-il "pour les produits phytosanitaires, les produits chimiques en général, l’amiante…". Suivre cet axe permettrait à la France de rejoindre le club des 16 pays de l’Union européenne dont l’inspection du travail est dite spécialisée en santé sécurité. Pour l’heure, avance le cadre, elle figurerait encore parmi ceux dont l’inspection est considérée comme généraliste, comme l’Espagne, le Portugal, la Grèce. Des pays qu’il n’estime pas être "des modèles en la matière". Il n’empêche, "les inspecteurs tiennent beaucoup à l’aspect généraliste" de leur mission. D’après le sociologue, ils sont par exemple "nombreux à être interpellés par les RPS".

Un problème d'expertise

Si spécialisation il y a, se pose néanmoins la question de l’expertise des agents. "Le ministère, même s’il veut développer une spécialisation, est conscient de ce problème", assure Vincent Tiano qui évoque la piste de la "collaboration extérieure". Les agents de l’inspection coopèrent déjà avec ceux des Carsat ou avec les médecins, mais le cadre semble estimer que cette collaboration n’est pas assez développée au vu des besoins croissants en expertise. Si le ministère tient tant à spécialiser ses agents de contrôle, peut-on imaginer qu’il les contraigne à coopérer davantage avec les autres acteurs du système de la prévention ? Vincent Tiano se demande en tout cas si la coopération attendue peut avoir lieu "si personne n’y est contraint". Et si cette contrainte est bien compatible avec le principe d’indépendance de l’inspecteur du travail, garanti par la convention n°81 de l’OIT (organisation internationale du travail). Elle pourrait aussi renforcer le sentiment qu’ont déjà certains agents de s’éloigner du terrain au profit de leurs fonctions d’encadrement (voir notre article).

Une autonomie relative

Pour l’heure, cette piste n’apparaît pas dans le projet d’ordonnance. Au contraire, celui-ci rappelle en son article 5 que les agents de contrôle "disposent d’une garantie d’indépendance dans l’exercice de leurs missions", qu’ils sont "libres d’organiser et de conduire des contrôles à leur initiative", et de "décider des suites à leur apporter". Mais il faut nuancer la déclaration d’indépendance. Parallèlement à ce renforcement législatif de leur indépendance statutaire, la loi Macron prévoyait d’étendre les pouvoirs des contrôleurs en terme de sanctions administratives (voir notre article). Selon le document, l’agent de contrôle peut punir un nombre plus important de manquements en infligeant une amende à l’employeur, mais pas directement. Il devra d’abord faire un rapport à l’autorité administrative compétente, qui, elle, prononcera le cas échéant la sanction (voir article 4 et 6). Il n’empêche, pour Vincent Tiano cette réforme-ci devrait donner "du pouvoir et de l’autonomie" aux agents de contrôle. La loi Macron a donné jusqu’au mois de mai au gouvernement pour prendre des mesures sur le sujet. Le projet d’ordonnance peut donc encore évoluer.

Contrôleurs / inspecteurs : où en est-on ?

Amorcée par le second volet de la réforme (voir notre brève), l’incorporation du corps des contrôleurs du travail (environ 1 800 agents) à celui des inspecteurs se poursuit dans le troisième volet. Le projet d’ordonnance qui circule actuellement rappelle que "les agents de contrôle de l’inspection du travail sont membres soit du corps des inspecteurs du travail, soit du corps des contrôleurs du travail jusqu’à l’extinction de leur corps". "Faut-il attendre de cette fusion un développement des compétences de l’inspection en termes de santé sécurité ?" s'interroge Vincent Tiano. Il semble être trop tôt pour le dire. Ceci dit, le cadre du ministère du Travail estime qu’à l’heure actuelle, environ 60 % des observations notifiées par les agents de contrôle de l’inspection concerne la santé et la sécurité. Alors que cette proportion était de l'ordre de 50 % il y a quelques années.

 

 

 

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