Accidents industriels : la fatalité n'est qu'une impression

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En examinant le cas de la raffinerie BP qui a explosé à Texas city en 2005, Michel Llory dresse un constat : tous les ingrédients étaient réunis pour que l'accident se produise. Et c'est se mettre des oeillères que de parler, a posteriori, d’évènement imprévisible.

Lorsqu’un accident survient – qu’il soit industriel ou du travail – et qu’on en analyse les détails, les circonstances et l’histoire, on peut souvent avoir l’impression qu’il était inévitable, et même le plus souvent imprévisible pour les protagonistes concernés. Les événements ne pouvaient se dérouler, semble-t-il, autrement. C’est ce que l’historien Aron a appelé l'"illusion rétrospective de la fatalité". L’analyse fine permet en effet de reconstituer les logiques techniques et humaines, les erreurs humaines souvent inévitables du fait du contexte, d’un outillage incomplet ou défaillant, de procédures de travail erronées ou ambigües, de phénomènes physiques trompeurs (y compris pour les experts, les ingénieurs). La reconstitution fait ressortir les enchaînements fatals.

15 morts, 180 blessés

Ainsi à la raffinerie BP de Texas City. Enumérons les ingrédients : une opération technique peu fréquente et délicate, à risques ; une instrumentation très dégradée ; des capteurs de mesure essentiels hors service, qui auraient pu prévenir d’une situation accidentogène ; des opérateurs peu formés ; des dispositifs de secours défaillants… Parfois, des éléments importants mais tout à fait fortuits s’en mêlent : ici, le contremaître qui est le seul à bien connaître la manœuvre technique est appelé d’urgence à son domicile. Il s’absente, donc, mais n’est pas remplacé. Dans la zone d’évacuation possible des gaz et vapeurs, s’étend un parking et une accumulation de bureaux préfabriqués a été autorisée par la Direction, pour des équipes d’intervention travaillant sur le site momentanément. Une étincelle due au démarrage d’un véhicule sur le parking : c’est l’explosion et la propagation d’incendies. L’accident fait 15 morts et 180 blessés, dont de nombreux graves (brûlés).

Accident prévisible ?

Dans ce contexte très dégradé de la raffinerie, l’accident était inévitable. Tôt ou tard, des circonstances défavorables s’agglutineraient et, compte tenu de cette longue incubation, caractérisée par de fortes restrictions des budgets et une dégradation marquée du système technique, l’accident se produirait. On pourrait dès lors être légitimement gagné par cette impression de fatalité. Pour nombre de managers de la raffinerie, il apparaît que l’accident était imprévisible. Essentiellement préoccupés par des objectifs de rentabilité, de minimisation des dépenses, ils n’ont pas semblé pouvoir réaliser que les conditions de fonctionnement ne cessaient de se détériorer. Comment imaginer que la raffinerie BP, dont la profitabilité est la plus élevée des 5 usines américaines du groupe pétrolier, pouvait être menacée par un accident ? Comment les dirigeants peuvent-ils imaginer qu’un événement redoutable puisse survenir lorsqu’ils se vantent que la raffinerie produit l’équivalent d’un plein d’une (grosse) voiture américaine toutes les 7 secondes ?

Analyse sans œillères

Mais l’accident n’est pas imprévisible pour tout le monde. Les équipes de travail, le personnel de terrain sont très inquiets des risques et des conditions de travail. Ils éprouvent de la peur d’intervenir sur des circuits dégradés. Des experts, des ingénieurs isolés mais expérimentés, ayant entre autres le sens aigu de l’observation, capables d’entendre les critiques et les interrogations du personnel, peuvent réaliser l’imminence du danger. Ils raisonnent par comparaisons, "en différentiel", ils mettent en perspective les difficultés rencontrées, les problèmes irrésolus et qui perdurent. Ils analysent sans œillères les situations de travail, sollicitent des avis, des commentaires de leurs collaborateurs. Ils favorisent la remontée (bottom-up) des inquiétudes, des alarmes. Fin 2004, une société de consultants, Telos, est chargée d’effectuer un audit de sécurité. Routine ou intuition et inquiétude de la part du manager qui commandite l’étude ? Interviews, questionnaires, observations. Le diagnostic de Telos tombe comme un couperet.

L'avertissement du consultant

Jamais une usine dans tel état de dégradation n’avait été étudiée par Telos. La direction est plutôt préoccupée par le port de la ceinture de sécurité pour les personnes circulant en voiture sur le site. Les problèmes secondaires priment sur l’essentiel. L’instrumentation étant réduite à sa plus simple expression, du fait d’un manque crucial de maintenance curative, certaines phases de fonctionnement sont donc conduites en aveugle par les opérateurs… en quelque sorte sans ceinture de sécurité ! Telos a donc annoncé l’existence d’un grave danger. Mais comment les dirigeants ont-ils réagi ? En mars 2005, au début du mois, le responsable, présentant le bilan de la raffinerie de l’année passée, se félicite que la raffinerie BP ait atteint un aussi haut niveau de profitabilité. Il constate par ailleurs une nette amélioration de la sécurité en 2004, confondant sécurité du travail et sécurité industrielle. Les équipements de protection individuels ne protègent pas d’une explosion dévastatrice…

Réduction des coûts

Créé sous Clinton quelques années auparavant, le Chemical Safety Board (un organisme fédéral d’analyse des accidents de l’industrie chimique) enquête. Les premiers résultats sont si alarmants qu’il demande et obtient une étude comparative des 5 raffineries BP américaines quant au niveau de sécurité. C’est au final le rapport de la Commission Baker qui juge que les graves défaillances de la sécurité à Texas City ne sont pas les pires !* Un accident semblable s’était produit dans l’usine BP de Grangemouth, en Ecosse, en 2000. Des mesures qui auraient dû être prises ne l’ont pas été. Mieux : les responsables nationaux se rendent sur place, à Texas City, début 2005, et exigent une nouvelle réduction substantielle des dépenses pour 2005, malgré le rapport Telos, malgré l’état défaillant de l’installation !

Le directeur en formation

Telos avait prévu l’accident et documenté en profondeur les insuffisances de la gestion de la sécurité. Des membres du personnel de terrain étaient effrayés de travailler sur une installation aussi dangereuse. Il se disait que la raffinerie de Texas City "n’était pas un bon endroit pour travailler en sécurité". Mais le fonctionnement de la raffinerie fut poursuivi jusqu’à son terme : l’accident. Faut-il incriminer l’incompétence, l’incompréhension des dirigeants, ou leur aveuglement délibéré, leur cynisme ? Les deux caractères vont de pair. Parmi les mesures à prendre localement après l’accident, on envoya le directeur suivre une formation sur la sécurité !

Les accidents attendent de survenir

Le management de la raffinerie, encouragé par la direction générale américaine, s’est obstiné dans son erreur et son aveuglement. Errare humanum est… Mais la sentence latine ajoute : Perseverare diabolicum. Persévérer dans l’erreur après tant de signes conséquents, tangibles, d’un risque d’accident grave, devient en effet diabolique. Les responsables argueront que les accidents peuvent sembler imprévisibles. Mais dans de nombreux cas, ils sont prévisibles. Ils attendent de survenir. Et les décideurs, ceux qui dirigent la maison et tiennent les cordons de la bourse, ne veulent ni ne peuvent voir et/ou entendre les signaux d’alerte. Dès lors, les accidents deviennent effectivement inévitables, même lorsqu’ils sont prévus à l’avance.

* On dispose donc de 2 volumineux et accablants rapports d’enquête : celui du CSB et celui de la commission Baker.

 

 

 

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