Sécurité industrielle : fournir "un bon mode opératoire" au sous-traitant ne suffit pas

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La sous-traitance croissante des questions de sûreté et de sécurité industrielle interroge les ergonomes.

Qu'il s'agisse du nucléaire ou de l'industrie en général, ils constatent que donneurs d'ordres et sous-traitants communiquent peu, malgré l'importance des enjeux.

Quand un industriel sous-traite la gestion de la sûreté de ses installations, comment peut-il être sûr que le "message sécurité" arrive bien aux oreilles de celui qui intervient ? La sous-traitance étant aujourd'hui ultra-spécialisée et répandue, qui mène la danse côté sûreté, elle ou le donneur d'ordres ? Et qu’est-ce que ce phénomène implique dans la gestion et le management de la sécurité d’une installation ? Un petit groupe d’ergonomes et de chercheurs planchaient justement sur le sujet jeudi 24 septembre, dans le cadre du 50e congrès de la SELF (société d'ergonomie de langue française).

Faire suivre le message à tous les étages

La loi de transition énergétique prévoit de limiter davantage le recours aux prestataires extérieurs dans le nucléaire. Notamment pour "certaines activités", liées par exemple à la sécurité des installations (voir notre article). Voilà qui devrait, au moins dans ce secteur, contenir la sous-traitance en cascade et les "problèmes d’interfaces" observés par les ergonomes sur le terrain. Or le nucléaire n'est pas le seul touché ; "c'est toute l'industrie qu'il faut regarder", affirme l'un d'entre eux. Dans tous les cas, plus il y a de niveaux d’interfaces entre le donneur d’ordres et celui qui intervient, plus forts sont les coûts et l’opacité des informations. Ceci dit, pour Joël Garron, spécialiste FOH (facteurs organisationnels et humains) à l’IRSN (institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), le phénomène de cascade n'explique pas tout. Dans le cadre d'une étude commandée par l'ASN, il a observé la sous-traitance de certains équipements de sûreté dans plusieurs centrales françaises ces dernières années. Il raconte ainsi que "les problèmes d’interfaces peuvent très bien commencer au niveau 2". Lorsque par exemple le sous-traitant jouit d’une grande autonomie, produit lui-même une analyse de risques, mais que parallèlement le donneur d’ordre perd en visibilité sur l’analyse en question… L'important, estime-t-il donc, c'est que le donneur d’ordres s’assure de "la compréhension des enjeux de sûreté" du côté du prestataire. Via un dispositif d'évaluation clairement affiché dès la signature du contrat de sous-traitance.

Qui donne le ton ?

Ce cas de figure, avec sous-traitance de l'analyse de risques, pose aussi la question du partage de ces enjeux. Ce que René Amalberti, le directeur de la Foncsi (fondation pour une culture de sécurité industrielle), appelle la "compatibilité" entre les "modèles de sécurité" du donneur d'ordres et du sous-traitant. "Le sous-traitant doit-il prendre n’importe quel marché, s’il y a une grande différence entre lui et le donneur d’ordres en termes de modèles de sécurité ?", interroge-t-il. Au vu des enjeux, s'il s'avère plus spécialisé en la matière, le prestataire doit-il toujours s’adapter à son client et jusqu’à quel point ? En somme, résume-t-il, sur les questions de sécurité, difficile de savoir qui donne le ton. Car les prestataires gèrent parfois bien plus que la maintenance – l’exploitation d’installations par exemple –. Ils peuvent aussi être plus importants en taille et en moyens que le donneur d’ordres lui-même, rappelle-t-il. Pour l’heure, seul le donneur d'ordres dispose vraiment d’éléments garantissant cette compatibilité : il peut exiger telle ou telle certification du sous-traitant, par exemple. Et si le contrat signé entre les deux partis est pluriannuel, alors le prestataire a l’obligation de maintenir ses compétences. Dans le secteur du nucléaire, depuis l’entrée en vigueur de l’arrêté INB, le donneur d’ordres doit en outre surveiller certaines tâches liées à la sûreté mais exécutées par des sous-traitants (voir notre article). C’est tout le travail du "chargé de surveillance", même s'il n'a pas toujours les mêmes compétences que le prestataire et donc, pas toujours de légitimité.

Donner du sens au geste du sous-traitant

La loi de transition énergétique revient sur le fond de cette surveillance : si elle ne dit pas comment le chargé de surveillance doit s'y prendre il s’agit pour le donneur d’ordre de "veiller à ce que les intervenants extérieurs disposent des capacités techniques appropriées" pour mener à bien toute "activité importante pour la protection des intérêts" (la sécurité de l’installation par exemple). L’ergonome François Daniellou rebondit sur un exemple observé sur le terrain : un donneur d’ordres qui ne met pas à disposition du sous-traitant les bons outils, l'obligeant à se charger de la maintenance d'un équipement de sûreté dans un "contexte difficile". Outre la sécurité et la sûreté de l'installation, c'est la "subjectivité du sous-traitant" qui est mise à mal, estime-t-il. "Le prestataire, qui est parfois comme un chirurgien, peut avoir l’impression que le donneur d’ordres prend moins soin de lui qu’on ne lui demande de prendre soin de la sûreté", décrit-il. Parallèlement aux problèmes physiques, cognitifs auxquels peuvent être confrontés les sous-traitants, l’ergonome estime que cette question de "perception" du sous-traitant doit "avancer", "pour lui comme pour la sécurité industrielle". Joël Garrou confirme : "Il ne faut pas se dire qu’avec un bon mode opératoire, le sous-traitant va y arriver. Il faut donner du sens et de la valeur à son geste."

"Silence organisationnel"

Si un bon mode opératoire ne suffit pas à garantir la bonne prise en main des enjeux de sûreté par le sous-traitant, en revanche un "planning qui tient la route" est primordial, insiste Joël Garron. "Si le donneur d'ordre n'a pas un planning crédible, cela peut créer une désorganisation chez le sous-traitant, qui peut alors avoir à réaffecter des équipes. De nouvelles personnes interviennent, donc. Mais sont elles compétentes ? Sérieuses ?", analyse-t-il. Des questions qui touchent à la capacité qu'a le donneur d'ordres à évaluer les conséquences de ses propres dispositions : permettent-elles vraiment d'évaluer si le prestataire est performant sur la gestion de la sécurité ? Son cahier des charges est il adapté ? Si les ergonomes s'accordent à dire que les "donneurs d'ordre font des choses, concrètement, pour prendre la situation en main" – de la formation du personnel, y compris pour les prestataires par exemple –, ils insistent toute de même sur l'épaisseur du "silence organisationnel" qui demeure entre les deux partis. À leur sens, les prestataires doivent travailler leur remontée d'information vers le donneur d'ordre, pas toujours optimale. Et les donneurs d'ordre faire un "effort d'explicitation", via les plannings ou les cahiers des charges et même en amont, dans les contrats et appels d'offres.

 

 

 

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