Dans 92% des entreprises, les postes de travail sont trop peu ergonomiques

8 Français sur 10 soupçonnent leur poste de travail de leur avoir déjà causé des maux. Le matériel ergonomique est-il trop cher ? Les employeurs trop frileux ? Et les salariés ? Une récente étude montre que la ramette de feuilles A4 réhaussant l'ordinateur a encore de beaux jours devant elle.

La ramette de feuilles A4 sous l’ordinateur pour le surélever, le carton en guise de repose-pied ou le coussin entre le dos et la chaise de bureau seraient une réalité dans 92 % des entreprises. Du moins dans celles sondées en 2014 par Fellowes. Cette entreprise américaine, "spécialiste de l’environnement au travail", s’est adressée à 800 sociétés – dont 200 sont implantées en France – afin de mesurer "la nécessité de mieux adapter l’environnement de travail" des salariés qui passent l’essentiel de leur journée face à un ordinateur. Et au vu des chiffres qui ressortent de l’étude, cette nécessité est importante… Huit Français sur dix déclareraient souffrir ou avoir souffert de maux associés à un poste de travail inadapté.

Tapis de souris et bricolage

"Après l’anxiété et le stress, il apparaît que l’ergonomie des équipements et de l’environnement de travail sont au coeur des préoccupations des employés", assure l’étude Fellowes. Elle lui attribue des cas de fatigue oculaire (29 %) (voir notre article), de maux de tête (11 %), ou de douleurs variées (23 %). Des chiffres qui ne surprennent pas le moins du monde Yannick Benet. Il dirige une société partenaire de Fellowes, qui dispense notamment des formations en gestes et postures. Pour lui ces maux sont dus à "des chaises de bureau mal adaptées", "des tapis de souris mal placés", l’absence de repose-pieds ou la mauvaise position – "trop haut, trop bas, sur le côté" – des écrans d’ordinateurs. Dans plus de 9 entreprises sur 10 donc, les salariés s’en arrangent comme ils peuvent, en "bricolant", dit l’étude. Paradoxalement, pointe-t-elle aussi, cette proportion de salariés est plus importante au sein des entreprises qui ont mis en place des politiques de bien-être au travail (60 % des répondants).

Un problème de budget ?

Le problème ne tiendrait donc pas (seulement) à la question des moyens financiers de l’entreprise (voir notre article). D’ailleurs, fait observer l’étude, les achats de matériel ergonomique auraient augmenté de près de 50 % dans les entreprises ces trois dernières années. Par rapport à 2011, on y trouverait par exemple 36 % de repose-pieds et 21 % de supports pour écrans de plus. "Pour les chaises de bureau", reconnaît Yannick Benet, "le coût est important" ; de même pour faire venir un ergonome dans l’entreprise. En revanche, il estime les kits type tapis de souris / repose-poignets / repose-pieds / support dorsal etc. "abordables", surtout si l’on en compare le coût – quelques 250 euros – à celui coût d’un syndrome du canal carpien (voir notre article). Alors qu’est-ce qui peut expliquer les 92 % de salariés toujours obligés de composer avec le matériel qu’on leur fournit ?

Une affaire de non-spécialistes

Le choix du matériel ergonomique revient le plus souvent aux services des ressources humaines, ou aux services généraux (voir notre article), "puisque ce sont eux qui gèrent le plus souvent les fournitures", explique Yannick Benet. "Mais ces services n’ont pas toujours les compétences pour cela, il y a un problème de formation", estime-t-il. Il note d’ailleurs que les entreprises demandent de plus en plus conseil sur le sujet : "Il y a trois ou quatre ans, nous intervenions surtout sur des questions de manutention. Aujourd’hui, on nous demande plutôt d’expliquer aux gens comment s’installer, se positionner, et comment utiliser le matériel". Ceci dit, ces sollicitations restent rares : d’après l’étude, sur ces questions, il n’est fait appel à un ergonome ou au médecin du travail que dans 10 % des cas. Même si celui-ci est dans l’entreprise…

Un équipement trop tardif

Autre élément d’explication avancé par Yannick Benet : les commandes de matériel ergonomique se font souvent lorsque les problèmes de TMS et autres sont déclarés. Un problème qu’il décrit comme "très français". "Le salarié a mal au dos ; il demande une chaise à son manager et le manager la commande. Si le problème est déclaré, les entreprises font en général le maximum, mais rares sont celles qui équipent intégralement un salarié dès le départ". Selon l’étude, les ré-aménagements de postes surviennent surtout dans le cadre d’évaluations des risques (17 %), ou lorsque le salarié en fait la demande (13 %). Plus généralement, elle évalue à 25 % la part d’entreprises réalisant des audits de postes réguliers. "Dans 50 % des cas, c’est à la demande des employés. Nouvelles embauches ou changements de bureaux sont des occasions propices à ces audits", détaille l’étude.

Des salariés qui n’osent pas

Toutefois, et c’est peut-être l’élément le plus surprenant de l’étude, la majorité des salariés ne formuleraient aucune demande de matériel susceptible d’améliorer leur bien-être au travail. "Soit ils n’osent pas demander pour ne pas être stigmatisés – certains se disent que s’ils demandent un repose-pieds, on va croire qu’ils ont des problèmes de genou ou de dos –, soit ils ne savent pas qu’ils peuvent réclamer ce matériel alors qu’il est à disposition", avance Yannick Benet. À qui s’adresser ? Et comment ? Sur le terrain, il constate souvent que pour les salariés, la démarche ne va pas de soi. Il conseille donc aux entreprises, au-delà de l’achat de matériel, une meilleure communication sur le sujet. "Envoyer un mail, où il est expliqué comment récupérer le matériel, auprès de qui par exemple", suggère-t-il. Reste ensuite à savoir comment se servir des tapis de souris avec repose-poignets et autres supports d’écrans. "Si l’on s’en sert mal, qu’on ne les positionne pas bien, cela peut être encore pire que si l’on ne faisait rien", assure Yannick Benet. Les TMS (troubles musculo-squelettiques) représentent pourtant déjà plus de la moitié des maladies imputables au travail (voir notre article).

 

 

 

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