La porosité des frontières vie privée / vie pro renouvelle l'action des préventeurs

David Pesme est préventeur. Il a vu des problématiques comme les TMS déborder le cadre des lieux de travail.

Si à l'inverse, il juge le chapeau de la santé publique trop lourd à porter pour l'entreprise, il estime néanmoins qu'elle doit passer de la réparation à la prévention, en se focalisant notamment sur l'organisation du travail.

Consultant en management santé-sécurité au travail, à la tête du cabinet de conseil spécialisé Préventicom, et membre de la FAP (fédération des acteurs de la prévention), David Pesme analyse les liens entre risques professionnels, vie privée et santé publique.

Lors de la dernière conférence sociale, santé au travail et santé publique faisaient l'objet d'une seule même table ronde (voir notre article). Faut-il comprendre que les frontières sont de plus en plus floues ?

David Pesme : Cette question nous ramène à celle de la frontière vie privée/vie professionnelle : il n'y a plus de frontière étanche entre les deux. Avec les nouvelles technologies, les gens travaillent à toute heure, ils sont toujours joignables – et à l'inverse, avec elles, nous amenons un peu de nos vies privées au travail. Il y a 30 ans, c'était plus étanche. Aujourd'hui, les problématiques de santé au travail ont débordé le cadre de l'entreprise ; ce ne sont plus là uniquement des préoccupations d'employeurs, mais aussi de pouvoirs publics et de salariés. Les TMS et les RPS sont les premières causes d'absentéisme pour raison de santé, et cet absentéisme augmente, alors même qu'on devra travailler de plus en plus longtemps. Par ailleurs, notre temps de déplacement quotidien a été multiplié par quatre, et nous faisons moins d'activité physique. Nous ne pouvons pas tout imputer au travail non plus, nos modes de vie engendrent aussi cela.

Quelles conséquences ce flou a-t-il ?

David Pesme : Pour moi, qui suis préventeur, cela veut dire que nous ne pouvons plus faire de la prévention comme il y a 20 ans. Nous voyons que les TMS et les RPS augmentent. Et pourtant, cela n'empêche pas un marché énorme de se développer, ni les entreprises d'y investir des sommes importantes, sans grand retour. Les méthodes actuelles ne sont pas efficaces ; si nous voulons éviter l'apparition des problèmes, nous devons travailler autrement. Il faut travailler sur l'organisation du travail : quand il faut décharger un camion de 30 tonnes, que l'on positionne ou non son dos correctement, on aura mal au dos ; il vaut mieux choisir un mode de livraison qui permet d'avoir du matériel de déchargement. Sur les tâches confiées aux encadrants aussi : il faut qu'ils aient un pouvoir de décision pour réguler l'activité des personnes avec qui ils travaillent.

Est-ce que c'est aux entreprises de gérer les problèmes qu'on peut qualifier de santé publique ?

David Pesme : Les entreprises doivent prendre en charge les préoccupations qui les impactent et qui gênent la santé des travailleurs. Chez les pompiers par exemple, un tiers des décès est lié aux maladies cardio-vasculaires. Dans ce cas, l'entreprise est légitime. Des problèmes comme la grippe en revanche, ne peuvent être la priorité pour une entreprise lambda : si une personne est grippée, on s'organise, mais de là à vacciner tout le monde... On ferait porter à l'entreprise un chapeau trop grand, alors qu'on lui demande déjà beaucoup. Cela ne l'empêche pas de le faire si elle le souhaite, mais selon moi elle interviendrait au-delà de son cercle. La salle de gym par exemple, je n'ai rien contre, mais je pense que c'est un avantage social et une incitation citoyenne à faire du sport qui ne doit pas exonérer l'employeur de travailler sur la charge de travail, et sur l'organisation du travail.

En tant que préventeur, quel est votre rôle sur ces enjeux ?

David Pesme : Nous accompagnons les employeurs pour construire des démarches de prévention via des groupes de travail sur les TMS et les RPS. Nous travaillons par exemple avec un conseil régional qui emploie 6 500 personnes, dont 5 000 réparties dans 270 lycées. Nous sommes allés voir le travail réel, pour essayer de comprendre ce qui générait les TMS de ces personnes. Puis nous avons réfléchi à des pistes de travail : faire évoluer la politique de remplacement du personnel absent et ne plus attendre 15 jours, ou mieux adapter la construction du bâtiment et des espaces pour le nettoyage des sols par exemple, au lieu de simplement adapter le matériel. Un travail en amont.

Sur quels problèmes de santé faudrait-il mettre l'accent ?

David Pesme : En ce moment on parle beaucoup des RPS. On ne parle plus des TMS alors qu'ils ont un impact en termes de santé publique. Il faut inciter les employeurs à mettre en place des démarches de prévention des TMS, les inciter à faire de la prévention plutôt que de la protection. En termes de santé publique, on pourrait peut-être développer une réflexion sur l'addiction [en France, d'après un baromètre de l'INPES, 16,4% de la population active consomme des médicaments psychotropes, ndlr]. Il peut y avoir un lien avec le travail, et avec la recherche de la conciliation entre vie professionnelle et vie privée.

 

 

Auteur : Par Claire Branchereau, actuEL-HSE.

 

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