Philippe de Condé : “Les entreprises évaluent mal les risques induits par la consommation d'alcool.”

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La consommation d'alcool et de drogue au travail devient peu à peu un sujet de préoccupation majeur pour les professionnels de la prévention qui observent avec inquiétude une modification du comportement des Français en la matière.

Philippe de Condé, expert en prévention des risques liés aux addictions, fait le point sur ce phénomène et plaide pour une évaluation de ces risques dans le cadre du document unique.

La consommation d’alcool et de drogue au travail suscite une attention croissante. Est-ce dû à une modification des comportements ?

Depuis quelques années, on assiste effectivement à une profonde évolution des comportements des Français en la matière. D’un côté, la consommation quotidienne d’alcool baisse régulièrement et un nombre toujours plus important d’individus ne consomment jamais de boissons alcoolisées. En revanche, on constate, parallèlement, une croissance exponentielle de ce que l’on nomme, dans notre jargon, les consommations ponctuelles importantes (CPI). Cette façon de consommer, copiée sur celle des pays anglo-saxons, provoque des états d’ébriété très avancés avec tous les risques que cela induit dans un contexte professionnel… Pour ne prendre qu’un exemple révélateur de cette transformation, selon l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), la proportion de femmes de 18 à 25 ans, donc arrivant sur le marché du travail, ayant été ivres au cours de l’année est passée de 20 à 34 % entre 2005 et 2010.

Ces comportements ne concernent-ils pas avant tout les moments consacrés aux loisirs ?

Les salariés ne laissent pas leurs habitudes et les effets des produits ne cessent pas à la porte de l'entreprise. Les comportements rejaillissent toujours dans un cadre professionnel. Ainsi, quelque 16,4 % des actifs français reconnaissent consommer de l’alcool au travail en dehors des repas et des traditionnels pots d’entreprise… Le problème est bien sûr le même pour la consommation de cannabis, avant et au travail. Ce que l’on fait en dehors du travail a souvent un impact sur celui-ci.

On estime parfois aussi que les addictions résultent des conditions de travail. Qu’en pensez-vous ?

Il est certain que les conditions de travail dégradées ont une influence sur le niveau d’addiction, certains salariés estimant, à tort, que l’alcool ou la drogue peuvent les aider à les supporter. Mais bien sûr c’est l’inverse qui est vrai, les soucis liés à l’addiction venant rapidement s’additionner à ceux issus du travail… Plus globalement, on distingue, en alcoologie d’entreprise, trois modes d’alcoolisation : l’alcoolisation d’adaptation, dont nous venons de parler, l’alcoolisation d’importation concernant les personnes qui boivent en dehors de l’entreprise et ne voient pas pourquoi elles s’arrêteraient au travail, et enfin l’alcoolisation d’initiation qui résulte d’un faisceau de traditions et d’habitudes incitant ceux qui ne buvaient pas au travail à le faire à leur tour.

Est-il possible de caractériser les risques d’addiction en fonction de critères tels que le secteur d’activité ou la CSP ?

Oui, tous ces critères peuvent être pris en compte dans une démarche de prévention, à condition toutefois de les analyser finement et surtout d’oublier les vieux clichés de “l’alcoolisme à la papa”. Ainsi, chez les femmes, le profil à risque c'est aujourd'hui une diplômée d’une grande école occupant un poste, bien rémunéré, de cadre supérieur… Entrée en contact avec l’alcool lors des soirées étudiantes et les “open bar” sponsorisés par les alcooliers, elle n’a pas modifié sa consommation lorsqu'elle a dû mener de front ses vies d’épouse, de mère et de cadre sup’. Au-delà de la catégorie socioprofessionnelle, le secteur d’activité donne aussi des indications. On sait par exemple que l’alcool est davantage présent dans le BTP, l’agriculture, la pêche, l’hôtellerie et la restauration, que le cannabis est également présent dans le BTP et dans le monde des arts et du spectacle tandis que la cocaïne pénètre plutôt les milieux de la communication, de la restauration et du spectacle. Mais, en réalité, l'alcool et les drogues, à des degrés divers, concernent toutes les entreprises, à l'image de la société dont elles sont le reflet.

Face à ce phénomène, quelles actions peuvent entreprendre les employeurs ?

Comme pour toute action de prévention, la première démarche à entreprendre consiste à bien évaluer les risques. Pour ma part, je considère qu'il est nécessaire d'évoquer les risques liés à l'alcool ou à la drogue en annexe du document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) et d’entreprendre ensuite des actions de prévention adaptées à la situation spécifique de l'entreprise puisque 15 à 20 % des accidents du travail sont imputables à des consommations d'alcool ou de drogue. Ces précautions sont d'autant plus nécessaires qu'en cas d'accident lié à l'alcool, l'absence de prévention peut engager la responsabilité de l'ensemble de la chaîne hiérarchique sur le fondement des “obligations de sécurité de résultat”.

En se souciant de comportements individuels, l'entreprise n'empiète-t-elle pas sur la liberté individuelle de ses employés.

Non, car il ne s'agit pas de se lancer dans une croisade morale ni d'interdire aux gens de boire mais seulement de poser des règles collectives s'appliquant dans la seule enceinte de l'entreprise. C'est ainsi que l'on fera évoluer la culture de l'entreprise à l'égard de l'alcool pour qu'in fine le groupe digère, spontanément et naturellement les éventuels problèmes individuels. Ma conviction, étayée par des années de pratique, est que le problème des addictions peut être traité avec des outils et des actions relevant du management et que, en retour, le management en récolte d'immenses bienfaits, tels que la réduction des accidents de travail, la baisse de l'absentéisme et un bien meilleur climat général.

Philippe de Condé dirige AD'HOC Consultants, un cabinet de conseils et de formation professionnelle spécialisé dans la prévention des risques liés aux addictions dans le monde du travail. A la demande de ses clients et pour coller à l’évolution de la législation, il propose désormais de traiter ces risques majeurs comme tous les autres risques professionnels : en commençant par les évaluer, en les intégrant dans le document unique. Pour le joindre : AD'HOC Consultants -104, boulevard Arago - 75014 Paris.

Auteur : La rédaction de Point Org Sécurité

 

Sur le même sujet : Consommation d’alcool en entreprise, par Jean-Marc Sainsard de Squire Sanders
« Il est interdit d’interdire » de manière générale et absolue la consommation d’alcool dans une entreprise française, c’est ce que rappelle le Conseil d’État dans un arrêt du 12 novembre 2012 (n° 349365).

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