Qui croit encore aux experts scientifiques ?

Classé dans la catégorie : Général

La mauvaise gestion des crises successives a mis à mal l'expertise scientifique française. Du récent Médiator au sang contaminé, transparence et expertise n'ont pas fait bon ménage, jetant le discrédit sur les experts. Une situation qui risque malheureusement de durer selon Pascal Roux, directeur général des Signaux forts, société de conseil en santé-environnement.

Vous avez récemment déclaré que "l'expertise scientifique française était en crise" : quels sont les symptômes de cette crise et son origine ?

Pascal Roux : Cette crise de l'expertise se manifeste par le fait que les gens ne croient pas ce que disent les experts scientifiques. Leur crédibilité en France est aujourd'hui très faible en comparaison de ce qu'elle est dans d'autres pays, comme aux Etats-Unis par exemple. L'une des raisons vient de l'accumulation de catastrophes de santé publique passées. L'amiante, la canicule, la grippe…Les exemples sont multiples. Ainsi quand l'expert français prend la parole, il n'a pas de la part du public l'écoute et le respect nécessaires pour que s'établisse un débat constructif.

Cela signifie-t-il que la France a de mauvais experts ?

P.R. : Ce ne sont pas de mauvais experts, mais ils ne sont pas toujours utilisés de la façon la plus transparente. Lors de l'accident de Tchnernobyl, les autorités ont relayé les dires d'experts affirmant contre toute vraisemblance que le nuage n'était pas passé au-dessus de la France. Lors de la crise du sang contaminé, l'utilisation des produits de diagnostic du sida a été retardée en France sur des bases essentiellement économiques. Concernant l'amiante : entre le premier signalement en 1906 et l'interdiction de l'usage des fibres d'amiante en 1997… il s'est écoulé presque cent ans. Bref, on a manqué de transparence, de gestion et de précision. Je pense que c'est surtout ça qui est en cause.

Nous n'avons donc jamais appris de nos erreurs ?

P.R. : Si bien sûr, ainsi on peut souligner que ces ratés ont donné lieu à de bonnes initiatives comme la création d'agences d'évaluation et de surveillance autonomes : l'Agence Française de Sécurité Sanitaire de l'Environnement et du Travail (Afsset)* et de l'Institut de veille sanitaire (InVS). Ce sont des structures qui ont permis d'organiser l'expertise et d'abord de la différencier de la gestion du risque. Ca, c'est un grand point qui, jusqu'à la création de ces agences, n'était pas très clair.

Ainsi, l'expertise se porte mieux…

P.R. : Sur certains points, oui. Les controverses scientifiques font maintenant partie du débat social : OGM, nanotechnologies, pesticides… Il s'agit d'un processus qui s'est installé dans nos sociétés depuis une vingtaine d'années. Ce qui est inquiétant c'est que le public s'empare de ces questions avec l'arrière-pensée que l'Etat ne dit pas tout et qu'il doit chercher ailleurs que dans les institutions officielles sa propre vérité. Ce fond de méfiance est une donnée de base, constitutive du débat en France, hérité de la mauvaise gestion des crises passées. L'affaire du Médiator, dans un domaine proche nous rappelle que ce passé n'est d'ailleurs pas si lointain.

Ces agences ne résolvent alors pas le problème ?

P.R. : Effectivement, mais elles sont cependant indispensables. Le problème c'est que leurs avis ne sont pas encore compris du public. Lorsque qu'un expert parle de risque acceptable, il a du mal à se faire comprendre. Avant toute autorisation de mise sur le marché d'un produit ou toute construction d'un site industriel, l'expert procède à une évaluation des risques pour les consommateurs ou les riverains, qu'il transforme en chiffre. Puis l'Etat décide si ce chiffre est acceptable ou pas pour la collectivité. C'est un discours qui est compliqué à recevoir pour un public qui n'a pas la même façon de voir les choses. Pour lui le risque est une donnée essentiellement qualitative et non quantitative: il y a les bons et les mauvais risques, ceux pris au nom d'une cause juste et les autres.

Pensez-vous que l'expertise puisse un jour sortir de la crise ?

P.R. : Ca n'est pas certain parce qu'à chaque fois de nouveaux risques arrivent. En clair, il faut gérer les questions d'aujourd'hui, en étant irréprochables, et rattraper la crédibilité perdue hier. Je pense que nous avons quelques années avant de récupérer le passif d'image de l'expertise en France. Les nanoparticules, les ondes téléphoniques, les perturbateurs endocriniens, le bisphénol etc., tout ça ce sont des espaces d'affrontements sociaux aujourd'hui dans lesquels les enjeux vont bien au-delà du simple enjeu sanitaire, ce sont des enjeux de pouvoir, des enjeux économiques… Et on sent, qui plus est, tous les ingrédients qui pourraient augurer d'une crise sociale voire démocratique grave autour de questions sanitaires. On peut penser que la sortie de crise de l'expertise n'est pas pour demain.

*l'Afsset est depuis devenue l'ANSES (l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation et de l'environnement du travail)

En savoir plus sur "Les signaux forts".

 

 

Auteur : Par Rosanne Aries, actuEL-HSE

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La crédibilité, ça se mérite...

Dès lors que l'on observe d'un peu plus près l'origine du financement des experts, il reste très difficile de se faire une idée nette et donc d'avoir foi dans les d'experts :

Propos de Pierre Meneton, chercheur à l'Inserm : "...par exemple, sur une centaine d'études bénéfices-risques portant sur le BpA, 94% de celles réalisées par des chercheurs rémunérés sur fonds indépendants font état de la nocivité de la molécule, alors que 100% de celles financées par les industriels en démontrent l'innocuité." (voir la source)

A quand une source d'expertise crédible à 100% ?

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